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Le mal-être des Palestiniens d'Israël

Né en 1958 à Tayibe, ville arabe au centre d’Israël, Ahmed Tibi a obtenu son diplôme de médecine à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il s’est engagé dans les rangs de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) alors que tout contact avec cette organisation était considéré comme illégal en Israël. Au début des années 1990, il participa à la préparation des accords d’Oslo en organisant la première rencontre officielle entre Yasser Arafat et le premier ministre israélien Itzhak Rabin. En 1998, il fut membre de la délégation palestinienne qui négocia les accords de Wye Plantation — un plan censé préparer un retrait israélien partiel de la Cisjordanie et qui sera gelé juste après le déclenchement de la seconde Intifada, en 2000.

En 1999, il réorienta son engagement politique vers l’intérieur d’Israël. Fondateur du parti Ta’al, nationaliste et laïc, il a été élu sans discontinuer depuis vingt-quatre ans à la Knesset dont il est vice-président depuis 2006. La coalition formée par son parti et le parti Hadash (issu du Parti communiste) a refusé — contrairement au parti islamo-conservateur Ra’am de Mansour Abbas — de soutenir le « gouvernement du changement » formé en 2021 par Naftali Bennett et Yaïr Lapid. Elle a obtenu 3,75 % des voix et 5 sièges lors des élections législatives de novembre 2022 qui ont vu la victoire de la coalition de la droite et de l’extrême droite.

M. T. et G. B.

Gérard Benhamou — Vous définissez-vous comme palestinien, comme arabe israélien ou d’une autre façon ?

Ahmed Tibi — Je refuse de me définir comme arabe israélien car ce concept nie la spécificité nationale des Palestiniens qui sont restés sur leur terre après la création de l’État d’Israël. Ce pays se proclame d’ailleurs l’État-nation du seul peuple juif et non de l’ensemble de ses habitants. Pour ma part, j’appartiens au peuple palestinien et je suis citoyen de l’État d’Israël.

Michel Taubmann — Vous avez été successivement conseiller de Yasser Arafat puis, depuis plus de vingt ans, député au Parlement israélien. Pourquoi ces choix ?

A. T. — J’ai effectivement endossé au cours de ma vie des rôles différents mais toujours au service de la même cause : le peuple palestinien. J’ai rallié le président Arafat en 1984, alors qu’il était exilé en Tunisie avec l’état-major des organisations palestiniennes. Je suis devenu son proche conseiller pendant les quinze années suivantes au cours desquelles ont commencé les premiers entretiens, longtemps secrets, en vue d’un accord politique entre Israël et l’OLP. Il était indispensable à cette époque de faire connaître le président Arafat aux médias israéliens. Parlant hébreu et connaissant le pays de l’intérieur, je me suis donc employé, auprès des journalistes et du public israéliens, à déconstruire les stéréotypes, à atténuer les hostilités réciproques et à présenter les positions palestiniennes sous un jour favorable.

G. B. — Vous vous êtes toujours déclaré partisan de la solution « à deux États ». 51 % des Palestiniens la souhaitent encore, selon un sondage publié par le journal Arab News à Londres. Mais ce pourcentage est en baisse constante avec une nette différence selon les générations : 63 % des plus de 45 ans y restent favorables, mais seulement 42 % des 18-29 ans. Cette solution à deux États peut-elle encore être mise en œuvre dans les frontières de 1967, et cela malgré l’extension des implantations juives ?

A. T. — Je continue à penser que la solution à deux États est bien la solution idéale. Malheureusement, à l’heure actuelle, il s’agit d’un rêve très lointain. Tout dépend d’Israël où, hélas, la création d’un État palestinien est désormais rejetée par la quasi-totalité de la classe politique. Israël a tout essayé — l’annexion, l’expulsion, les implantations, les liquidations — pour faire face aux conséquences de l’occupation. Une seule chose n’a jamais été réellement tentée, par aucun gouvernement : la fin de l’occupation. Seule sa disparition ouvrira des potentialités nouvelles dans la région, amenant un changement dans l’opinion publique et la possibilité d’un accord politique fondé sur le principe de deux États.

M. T. — En attendant la création éventuelle d’un État palestinien, pourrait-on rechercher des solutions intermédiaires par la voie de la négociation ?

A. T. — Non. Pour l’instant, des négociations n’apporteraient aucun résultat. L’expérience montre que l’État d’Israël souhaite s’engager dans un processus de négociations à condition qu’il ne débouche jamais sur la paix. Israël aime les processus qui lui font gagner du temps, lui …