Grégory Rayko — Plus d’un an et demi après le début de l’invasion de l’Ukraine, quel bilan tirez-vous des sanctions occidentales imposées à l’économie russe ? Dans quelle mesure ces sanctions ont-elles été efficaces ?
Sergei Guriev — L’objectif premier des sanctions était de mettre fin à la guerre. Or la guerre continue. De ce point de vue, elles n’ont pas rempli leur fonction. Toutefois, il est indéniable qu’elles ont sérieusement affaibli l’économie russe dans son ensemble et l’industrie de défense en particulier. Sans ces sanctions, Vladimir Poutine pourrait encore compter sur des réserves en or et en devises équivalant à quelque 600 milliards de dollars. Il aurait toujours la possibilité d’acheter des technologies militaires françaises ou des microprocesseurs taïwanais. Et la Russie produirait bien plus de missiles qu’aujourd’hui. Pour dire les choses crûment, elle tuerait beaucoup plus d’Ukrainiens. Et nul ne sait à quoi son attaque lancée le 24 février 2022 aurait abouti. En cela, les sanctions ont été efficaces. Grâce à elles, Poutine a nettement moins de moyens que si elles n’avaient pas été adoptées.
G. R. — Quel est l’état de l’économie russe aujourd’hui ?
S. G. — Elle est affaiblie, mais elle n’est pas détruite. Les sanctions les plus pénalisantes sont celles qui ont été appliquées à la Banque centrale de Russie. Elles ont permis de geler une grande partie des réserves dont disposait Poutine, et donc de compliquer l’achat d’armements étrangers et de composants permettant de produire des armes en Russie même. Moscou éprouve désormais de grandes difficultés à payer ses fournisseurs étrangers. Poutine ne peut plus acquérir des biens technologiques auprès des pays de la coalition démocratique. Il est donc contraint, pour schématiser, d’acheter des armes à l’Iran et à la Corée du Nord.
Et, bien entendu, les sanctions qui visent les hydrocarbures sont d’une grande importance. Dès leur introduction, elles ont très bien fonctionné : la Russie a perdu quasiment la moitié de ses revenus issus de la vente du pétrole et du gaz. Mais, aujourd’hui, on constate que les autorités ont appris à contourner ces sanctions ; il faut donc les durcir et, pour cela, il est indispensable d’abaisser le prix plafond du pétrole russe. Un article récent publié par le groupe de travail de Yermak-McFaul (1) explique en détail la marche à suivre pour empêcher le contournement des sanctions et réduire le prix auquel la Russie vend son pétrole. Il faut dire les choses très clairement : chaque fois que les sanctions visant la Russie sont renforcées, ce sont des vies d’Ukrainiens qui sont épargnées.
G. R. — Aurait-il fallu adopter les sanctions les plus dures possibles dès le début de la guerre, ou bien était-il préférable de se laisser une marge de manœuvre ?
S. G. — À mon avis, les sanctions visant les exportations d’hydrocarbures russes ont été introduites trop tardivement. Il n’empêche que, comme vous le dites, il convient, quand on sanctionne un pays donné, de se laisser une certaine marge de manœuvre ; il faut pouvoir le …
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