Ministre des Affaires étrangères au sein d’un gouvernement de droite libéral-conservateur, Tobias Billström est l’une des chevilles ouvrières du changement stratégique majeur décidé par la Suède depuis l’invasion russe de l’Ukraine : son entrée dans l’Otan. En quelques jours, fin février 2022, l’attaque à grande échelle ordonnée par Vladimir Poutine contre son voisin a rappelé aux pays du nord de l’Europe la réalité de la menace russe. Elle a provoqué une rupture radicale avec la politique de non-alignement militaire qui était celle de Stockholm depuis deux cents ans. Mais l’entrée dans l’Alliance, qui a décidé à l’unanimité d’ouvrir grand ses portes à la Finlande et à la Suède, n’est pas un long fleuve tranquille. La Turquie, qui garde le pilier est de l’Otan, et son président Erdogan, allié de Poutine et expert en chantages divers, a imposé ses conditions à l’adhésion des deux pays. Surtout à celle de la Suède, qui a dû se résoudre à laisser passer Helsinki avant elle. Erdogan a reproché à Stockholm de protéger les Kurdes — environ 100 000 sont installés dans le pays — et d’héberger des membres du PKK, considéré par Ankara comme une organisation terroriste. Après avoir déployé des efforts énormes pour amadouer le président turc et accepté de faire plusieurs concessions, le gouvernement a obtenu, en juillet 2023, la levée du veto turc. L’entrée officielle de la Suède dans l’Otan pourrait avoir lieu à la fin de l’année. Un tournant historique pour le pays.
I. L.
Isabelle Lasserre — La levée du veto turc a ouvert la voie à l’adhésion de votre pays à l’Otan. Est-ce un soulagement ?
Tobias Billström — Effectivement, le sommet de l’Otan qui s’est tenu à Vilnius au mois de juillet fut à la fois une grande réussite pour l’organisation, mais aussi un succès pour la Suède qui a obtenu la confirmation des engagements pris par l’Alliance à son égard. Le président Erdogan a redit qu’il allait procéder à la ratification de la candidature suédoise dès que possible, c’est-à-dire dès la réouverture du Parlement turc en octobre. Depuis l’accord conclu au sommet de Madrid, la Suède s’est acquittée de ses obligations, ce que la Turquie a reconnu. Nous sommes à présent très impatients de rejoindre l’Otan. Cela ne devrait pas tarder : la Hongrie devrait, elle aussi, débloquer son opposition à notre candidature, puisque le premier ministre Viktor Orban a promis qu’il ne serait pas le dernier à ratifier le texte !
I. L. — Cette adhésion annoncée est-elle une défaite pour Vladimir Poutine ?
T. B. — Le 17 décembre 2021, Vladimir Poutine avait déclaré que ni la Suède ni la Finlande ne seraient autorisées à rejoindre l’Otan. Or, depuis, la Finlande a été intégrée à l’Alliance et ce sera bientôt notre tour. C’est une preuve supplémentaire que la politique de Vladimir Poutine ne fonctionne pas et que la guerre qu’il livre à l’Ukraine, basée sur l’idée qu’il devrait y avoir une sphère d’influence russe où Moscou serait autorisé à étendre sa domination, ne peut que se solder par un échec.
I. L. — Si Donald Trump revient au pouvoir en novembre 2024, craignez-vous qu’il renverse la table en retirant les États- Unis de l’Otan ?
T. B. — En Europe, on a parfois l’impression que la politique étrangère des États-Unis relève uniquement de la responsabilité de la Maison-Blanche et de l’exécutif. Mais ce domaine est aussi du ressort du Sénat, qui n’a jamais, contrairement à Donald Trump, remis en cause la nécessité et l’importance de l’Otan. Le retrait n’est pas une décision que Donald Trump pourrait prendre seul. Chaque fois que je me rends à Washington et que je discute avec des représentants du Parti républicain et du Parti démocrate, je remarque qu’ils sont tous très attachés à l’Otan. Je crois que nous avons parfois tendance, en Europe, à exagérer la réalité des changements de la vie politique américaine.
I. L. — Faut-il avoir peur d’un enlisement en Ukraine ?
T. B. — J’ai longuement reçu Volodymyr Zelensky à la fin de l’été. J’ai eu le loisir de l’écouter et d’écouter ses équipes pendant une journée entière : je peux vous dire que les Ukrainiens se comportent comme s’ils étaient en train de gagner la guerre. Ils nous ont montré depuis le début qu’ils sont capables d’accomplir des exploits que nous ne pensions pas possibles. Tout le monde imaginait que Kiev allait tomber en trois jours. Cela n’a pas été le cas. Grâce à la combativité de ses soldats, …
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