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Ukraine : une guerre à plusieurs inconnues

Thomas Hofnung — Le cap des 500 jours de guerre en Ukraine a été franchi. Le front apparaît globalement figé, et le président Zelensky a lui-même reconnu que la contre-offensive ukrainienne patinait. Il a également souligné la supériorité aérienne des forces russes. Est-on entré dans une guerre longue, une guerre d’usure ?

Pierre Servent — À dire vrai, plus cette guerre avance, moins je me sens à même de faire des prévisions et des pronostics. L’histoire militaire est remplie d’exemples où ce qui n’était pas prévu s’est passé. La défaite de Diên Biên Phu, il y a 70 ans en Indochine, en est un exemple saisissant. C’était impossible, et pourtant c’est arrivé. La guerre, ce sont en permanence des choses impossibles qui se produisent.

Aujourd’hui, on peut néanmoins affirmer qu’un effondrement du front du côté russe paraît peu probable. Les Russes ont considérablement renforcé leur système « multicouches » de protection. Ils sont globalement montés en gamme sur les systèmes de brouillage et disposent d’une meilleure coordination. Au début du conflit, ils travaillaient à la soviétique, en silo. Il faut relever la réelle capacité de réaction de la Russie devant une accumulation initiale d’échecs — même si certains parmi les meilleurs, comme le général Popov, ont été limogés pour s’être montrés trop critiques. Le scénario le plus probable, c’est donc une guerre longue. Les deux parties sont à bout mais ne sont pas au bout, et personne ne peut lâcher.

T. H. — Quelle analyse faites-vous du côté ukrainien ?

P.  S.  —  Si les Russes ont un problème d’effectifs qu’ils « consomment » à haute intensité, du côté des Ukrainiens on observe une vraie fragilisation du corps d’encadrement. Les Ukrainiens ont perdu énormément d’officiers subalternes (au niveau des grades de lieutenants-capitaines) et de jeunes officiers supérieurs (commandants), qui sont morts au combat sur le front. Une fragilisation d’autant plus préoccupante que chez les Ukrainiens, contrairement aux Russes, une liberté d’action importante est octroyée au niveau du commandement de terrain — ce qui a fait le succès de l’armée ukrainienne depuis le début des combats. En plus de cette difficulté, ils combattent avec une main dans le dos, en ce sens qu’ils n’ont pas d’aviation. Dans cette guerre longue, les Ukrainiens vont très probablement continuer de mener des opérations spéciales à l’aide de commandos de marines engagés dans des assauts de la mer vers la terre, notamment en Crimée, ou de commandos de l’armée de terre agissant par petites unités.

T. H. — Avez-vous été surpris par leur capacité à résister ?

P. S. — Honnêtement, je ne pensais pas que les Ukrainiens parviendraient à résister de la sorte. Certes, les forces ukrainiennes ont bénéficié de la formation britannique et américaine depuis 2014. C’est sans doute le seul point positif de l’époque Trump, qui par ailleurs avait accepté de livrer des missiles Javelin à Kiev à condition qu’ils soient stockés près de la frontière polonaise.

Mais le facteur principal de cette résistance, c’est la mobilisation de l’armée qui a décidé …