Tzipi Livni est née à Tel-Aviv en 1958 de parents très actifs, avant l’indépendance d’Israël, dans l’Irgoun, la branche militaire du sionisme révisionniste (1). À l’issue de son service militaire, la jeune Tzipi Livni travailla pendant quatre ans pour le Mossad en Europe. Rentrée en Israël en 1984, elle acheva ses études de droit et devint juriste spécialisée en droit public et commercial. Membre du Likoud, elle fut élue pour la première fois députée à la Knesset en 1999. Favorable au désengagement israélien de Gaza, elle quittera le Likoud en même temps qu’Ariel Sharon pour fonder le parti centriste Kadima en 2005 avant d’entamer une riche carrière ministérielle. Ministre de la Justice à trois reprises entre 2004 et 2014 sous Ariel Sharon puis sous Ehud Olmert et Benyamin Netanyahou, elle dirigea aussi les affaires étrangères, tout en étant vice-premier ministre, entre 2006 et 2009. À la tête du centre gauche, elle fut chef de l’opposition à Benyamin Netanyahou entre 2015 et 2019.
M. T. et G. B.
Michel Taubmann — La crise profonde que traverse Israël depuis près d’un an oppose-t-elle les partisans d’un État juif à ceux d’un État d’abord et avant tout démocratique ?
Tzipi Livni — Pas du tout ! Ceux qui manifestent chaque semaine sont partisans d’un État à la fois juif et démocratique. Ce n’est absolument pas contradictoire. Ils s’inscrivent dans la droite ligne de la déclaration d’indépendance de 1948 qui définissait Israël comme l’État-nation du seul peuple juif, mais qui précisait que cet État assurerait « une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ». Les partisans du gouvernement actuel ne contestent pas ouvertement la déclaration d’indépendance, mais ils donnent un sens différent aux mots « juif » et « démocratique ». Ils réduisent la démocratie à un système d’élections et non de valeurs, au sein duquel la souveraineté du peuple serait concentrée dans une seule chambre parlementaire, la Knesset, sans véritable contre-pouvoir institutionnel. Autre différence, essentielle : ils redéfinissent la notion de peuple juif dans un sens religieux étroit et non plus national.
Gérard Benhamou — À quelles conditions Israël peut-il rester un État à la fois juif et démocratique ?
T. L. — Je vous l’ai dit : Israël est un État juif et démocratique. Cette définition a toujours été le dénominateur commun à tous les partis, à l’exception de quelques extrémistes. Elle est fondée sur l’égalité des droits pour tous. Sa remise en cause détruirait le consensus national sur lequel est fondé le pays. Au lieu d’une société dont les citoyens vivent en harmonie, elle instaurerait différents droits selon les communautés : Juifs laïques, femmes, Arabes, LGBT, etc. Deux groupes très puissants aujourd’hui au gouvernement — les ultra- orthodoxes et les sionistes-religieux — refusent l’égalité des droits et défendent les privilèges de leur base électorale.
M. T. — Quelle doit être la place de la religion dans la société ?
T. L. — La liberté religieuse est inscrite dans la déclaration d’indépendance : chaque citoyen est entièrement libre d’exprimer sa foi de différentes manières. Il a le droit d’être juif, chrétien, musulman ou autre chose. Il a aussi le droit de ne pas croire. Personnellement, comme la plupart des Israéliens, je ne suis pas hostile à la religion. J’appartiens au courant massorti, qui conserve des éléments de la tradition religieuse tout en s’adaptant à la modernité, notamment l’égalité hommes-femmes. La religion représente une part d’identité, un lien avec des traditions, une histoire. Dans un merveilleux discours de 1972, Menahem Begin, alors leader du Herout, expliqua la dualité du judaïsme comme combinaison entre une identité nationale et une identité religieuse. Du fait de cette dualité, la signification d’un État juif est une question complexe. Le rapport entre les deux dimensions, nationale et religieuse, est difficile à équilibrer. Contrairement à d’autres pays, il n’existe pas de religion obligatoire en Israël. Cependant — et c’est une contradiction que nous devons gérer —, la nature d’État juif entraîne forcément …
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