Isabelle Lasserre — Quel était l’esprit des accords d’Abraham quand ils ont été signés et pensez-vous que cet esprit peut perdurer malgré les événements ?
Mohammed Baharoon — La démarche était motivée par la constatation que, pendant 75 ans, tous les efforts menés pour régler la question d’Israël et des Palestiniens ont buté contre un mur. Et par le fait que les Américains, parmi les plus engagés sur le dossier, ont échoué. L’objectif des accords d’Abraham, du point de vue des Émirats arabes unis, devait être de transformer le conflit existentiel entre Israël et les Palestiniens en un conflit politique, afin d’en faire baisser l’intensité. Car nous pensons que seul ce changement de paradigme pourra, à terme, déboucher sur des évolutions, y compris en Iran, qui reste la principale menace dans cette partie du monde. Les accords d’Abraham montrent à quoi la paix pourrait ressembler un jour. Ils ont ouvert un chemin pacifique aux pays qui refusaient la paix avec Israël. Pour les Émirats arabes unis, les accords d’Abraham sont bien plus qu’un simple accord de normalisation ; ils sont un moyen de connecter entre eux tous les pays de la région.
I. L. — On a quand même l’impression que la principale faiblesse des accords d’Abraham était d’avoir, justement, oublié la question palestinienne…
M. B. — Les accords d’Abraham n’ont jamais oublié les Palestiniens. Le fait qu’ils soient fondés sur la prévention d’une annexion est censé assurer la protection de la terre palestinienne et de ses frontières. Ils s’attachent à montrer les avantages de la paix à la seule partie qui refuse la solution à deux États, à savoir Israël. Tous les autres pays du monde l’ont acceptée. Le conflit israélo-palestinien est un « conflit prolongé » qui reste sans solution malgré les efforts continus de la communauté internationale. On est passé d’une question géopolitique d’« occupation » des terres palestiniennes par les Israéliens à un conflit entre tous les Arabes et tous les sionistes, puis entre tous les musulmans et tous les Juifs. La dimension religieuse a radicalisé la lutte au point de la transformer en une justification du terrorisme. L’objectif des accords d’Abraham était de ramener le conflit à ses dimensions politiques et d’éviter qu’il ne se transforme en une guerre entre musulmans et Juifs. Cette démarche repose sur une philosophie de désescalade qui s’applique aussi bien à nos relations avec Israël qu’à nos relations avec l’Iran. Les accords d’Abraham ne remplacent pas l’initiative de paix arabe ; ils constituent plutôt un prototype qui prouve que la paix avec Israël (y compris la paix entre les peuples) est viable. Israël a toujours considéré que la principale menace venait de l’Iran et non des pays arabes. Si la paix s’installe dans la région, et en particulier la paix avec les Palestiniens, cette menace diminuera.
I. L. — Vous avez évoqué l’Iran. En quoi, concrètement, les accords d’Abraham peuvent-ils aider à apaiser la relation avec Téhéran ?
M. B. — La stratégie américaine vis-à-vis de Téhéran, depuis George Bush, …
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