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La Géorgie en route vers l'Union européenne

 

Le destin hors norme de Salomé Zourabichvili est bien connu : née à Paris en 1952 dans une famille d’origine géorgienne, elle effectue d’abord une brillante carrière au sein du corps diplomatique français, exerçant diverses fonctions dans de nombreuses missions à l’étranger avant d’être nommée ambassadrice en Géorgie en 2003, peu après la fameuse Révolution des Roses qui porte au pouvoir le réformateur pro-occidental Mikheïl Saakachvili. Ce dernier a besoin de personnalités de marque pour composer son gouvernement. En mars 2004, il propose à la diplomate, qui parle couramment le géorgien, la nationalité géorgienne et le portefeuille des Affaires étrangères — proposition qu’elle accepte après discussion avec les autorités françaises. À ce poste, elle ancrera solidement son pays dans le camp euro-atlantique : c’est à cette époque que la Géorgie rejoint la Politique de voisinage de l’Union européenne et renforce ses liens avec l’Otan. Mais un conflit s’installe progressivement entre la ministre et l’équipe Saakachvili, et elle quitte ses fonctions en octobre 2005. Suivront de longues années dans la vie politique mouvementée du pays — une période également marquée par la guerre qui oppose la Russie et la Géorgie en août 2008 et aboutit à la sécession (non reconnue intenationalement) de deux régions géorgiennes, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, devenues de facto deux protectorats russes.

Après une parenthèse aux Nations unies de 2010 à 2012, durant laquelle elle coordonne les travaux du groupe d’experts du Comité des sanctions sur l’Iran du Conseil de sécurité, Mme Zourabichvili revient en Géorgie, désormais dominée par le parti « Le Rêve géorgien » du milliardaire Bidzina Ivanichvili, avec lequel ses relations seront tendues mais parfois constructives. Élue députée sans étiquette en 2016, elle se porte candidate à la présidentielle en 2018 et l’emporte à l’issue d’une campagne extrêmement disputée. Si le pouvoir exécutif est, pour l’essentiel, aux mains du premier ministre (actuellement Irakli Garibachvili, du Rêve géorgien), la stature internationale de la cheffe de l’État fait rapidement d’elle le visage de son pays au niveau international. Elle consacrera très largement son mandat à un rapprochement avec l’UE et avec l’Otan, manœuvre d’autant plus complexe qu’elle se fait sous le nez de la Russie de Vladimir Poutine et, depuis février 2022, dans le contexte de la guerre en Ukraine. La présidente, qui condamne fermement l’agression russe, estime aujourd’hui que le sort de son pays est étroitement lié à celui de l’Ukraine et de la Moldavie, deux autres pays candidats à l’adhésion à l’UE et désireux de renforcer leurs liens avec l’Alliance atlantique. Le 14 décembre dernier, l’Union a accordé à la Géorgie le statut de pays candidat, après une recommandation en ce sens de la Commission un mois plus tôt. Il s’agit d’une grande victoire pour l’ensemble du camp pro- européen de ce petit pays caucasien d’un peu plus de 3,5 millions d’habitants — une victoire qui doit beaucoup aux efforts constants de sa présidente.

G. R.

Grégory Rayko — Le 8 novembre dernier, la Commission de Bruxelles a recommandé au Conseil européen d’attribuer à la Géorgie le statut de candidat à l’adhésion à l’UE. Il restait alors au Conseil européen des 14-15 décembre à confirmer cette décision, ce qui fut fait. Mais étiez-vous confiante dès le 8 novembre ?

Salomé Zourabichvili — Oui, notamment du fait des termes employés dans la déclaration de la Commission. La formulation était particulièrement nette et présageait la décision positive du Conseil européen. Selon moi, l’un des éléments qui ont pesé dans la recommandation de la Commission est la détermination de la population géorgienne à voir le pays rejoindre l’Union. Nous savons que les Géorgiens sont très largement favorables à cette intégration ; c’est pour cette raison que, dès que l’avis favorable de la Commission a été connu, nous avons lancé une campagne de collecte de signatures en faveur de l’adhésion — intitulée « Nos Voix pour l’Europe » — afin de montrer aux membres de l’UE que notre pays est mobilisé pour atteindre cet objectif fixé de longue date. Les quelque 50 000 signatures symboliques recueillies dans le cadre de cette pétition ont été transmises à l’ambassadeur de l’UE en Géorgie.

G. R. — Quelle est la proportion de Géorgiens qui souhaitent l’adhésion ? D’après certains sondages, ils seraient 80 %...

S. Z. — Ce chiffre aurait encore augmenté : il serait à présent de plus de 85 % selon l’institut Edison Research (1). Ce sondage est particulièrement intéressant car il donne aussi les raisons pour lesquelles cette attente d’Europe existe. Et il en ressort que la principale raison, avant le développement économique et la prospérité, c’est la sécurité.

G. R. — L’adhésion à l’UE renforcerait-elle significativement la sécurité de la Géorgie ?

S. Z. — Évidemment. Ne serait-ce que parce qu’une réponse négative de l’UE aurait été, pour la Russie, une invitation à intensifier les pressions qu’elle exerce sur nous. Le message envoyé à Moscou aurait été que la Géorgie se trouve dans une sorte de zone grise ouverte à toutes les influences, sauf à celle de l’UE. Or, en affirmant que notre destin est de rejoindre l’Union, cette dernière montre que sa présence dans le Caucase a vocation à se développer, et non pas à se réduire. Cette présence se manifeste déjà à travers la mission EUMM (2) en Géorgie, mais aussi par la mission de l’UE en Arménie, sans compter tout l’engagement européen sur le plan économique. Avec sa décision, l’UE souligne encore un peu plus que, dans cette région, elle a des intérêts — notamment des infrastructures sur la mer Noire et au-delà (3). L’adhésion future de la Géorgie consolidera cette présence et cette influence européennes. C’est tout cela qui suscite l’enthousiasme de la population — une population qui s’est spontanément rassemblée à Tbilissi, au soir du 8 novembre, et une nouvelle fois le 14 décembre, pour célébrer la bonne nouvelle en brandissant des drapeaux européens.

G. R. — Des scènes qui ont rappelé celles de …