Il dit qu’il ne peut plus sortir de chez lui sans prendre de risques pour sa vie, que des miliciens armés s’entraînent au tir dans les montagnes sur une cible où est punaisée sa photo. Samy Gemayel vient de fêter ses 43 ans dans un pays depuis longtemps soumis et désormais failli. Depuis le début des années 1980, la Syrie et l’Iran, via les partis libanais pro-syriens et le Hezbollah, ont gardé la main, de fer ou de velours, sur ce Liban déjà martyrisé par la guerre civile. Le dévissage économique, accéléré par l’explosion du port de Beyrouth en 2020, s’est accompagné d’une paralysie institutionnelle totale. Une absence de président, un gouvernement qui expédie les affaires courantes et un Parlement incapable de se réunir faute de quorum sont autant de facteurs qui exposent le Liban à toutes les menaces de la région. Singulièrement depuis la nouvelle guerre entre Israël et le Hamas née des pogroms du 7 octobre.
Député du Metn où se situe le village de Bikfaya, berceau de la dynastie Gemayel, le petit-fils du fondateur des Phalanges chrétiennes libanaises, le fils et neveu des ex-présidents Amine et Béchir Gemayel analyse pour Politique Internationale les réalités tragiques du Proche-Orient (1). En se refusant fermement à toute nouvelle guerre fratricide au Liban, où religions et géopolitique de voisinage ne feraient qu’aggraver sa descente aux enfers.
F. C.
François Clemenceau — Comment avez-vous vécu la journée du 7 octobre dernier ?
Samy Gemayel — En arrivant à mon bureau de la présidence du parti, j’ai vu ces images, entendu ces récits en provenance d’Israël. Humainement, voir des civils, des femmes et des enfants, se faire massacrer de cette façon, c’est l’horreur. C’est épouvantable aussi parce que les résidents des kibboutz et les jeunes participants à la rave party dans le désert étaient pour la plupart des pacifistes. Cela ne doit pas nous faire oublier au passage que la moitié, si ce n’est plus, de la société israélienne est favorable à la paix avec les Palestiniens et qu’il ne faut jamais confondre la population de l’État hébreu et ses dirigeants. Même chose à Gaza où les civils ne peuvent être assimilés au Hamas. On ne peut donc qu’être horrifiés par les récits du 7 octobre, mais aussi par les conséquences de la riposte militaire israélienne sur la population civile gazaouie.
F. C. — Quelle a été votre analyse à chaud, et en quoi a-t-elle éventuellement évolué avec le recul ?
S. G. — J’ai tout de suite compris quelle était la magnitude de ce qui se passait. C’était la première fois qu’Israël était touché en plein cœur (2). Comme beaucoup, j’ai été choqué par la déficience sécuritaire du gouvernement israélien alors que l’État d’Israël avait convaincu ses concitoyens de l’invincibilité de son armée et de ses services de renseignement. J’ai donc été surpris que cette attaque ait pu être menée avec autant de facilité. Avec davantage de recul, je ne suis pas étonné par cette opération. Cela faisait trop longtemps que la cause palestinienne avait été négligée, voire oubliée, notamment par les accords d’Abraham qui ont dérangé les plans et la stratégie du Hamas et de l’Iran (3). Ces acteurs-là ont toujours voulu qu’on tienne compte de leur poids, et ce n’était plus le cas. La coïncidence avec le rapprochement entre l’Arabie saoudite et Israël n’en est pas une. C’est précisément cette normalisation voulue par le prince héritier Mohammed Ben Salmane qui était visée par le Hamas et l’Iran. C’était en tout cas leur intérêt commun de faire échouer cet accord. De mon point de vue, l’Iran sort pour l’instant gagnant de cette tragédie. Il reste incontournable au Moyen-Orient. Mais les victimes du 7 octobre et des semaines qui ont suivi ne sont pas seulement celles des extrémistes qui gouvernent en Israël et à Gaza (4). Ce sont aussi les victimes de la nonchalance de la communauté internationale. Celle-ci a fait le choix du pourrissement de ce conflit israélo-palestinien qui a fini par nous exploser à la figure. Il y aura eu un avant et un après 7 octobre. Ce conflit ne peut se terminer sans parvenir à une solution définitive qui assure une stabilité de long terme. Désormais, les deux parties ne peuvent plus continuer à s’affronter comme si rien ne s’était passé.
F. C. — Croyez-vous que le Hamas, l’Iran et le Hezbollah sont favorables à une …
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