Politique Internationale — Quand avez-vous décidé de quitter le KGB ? Et pour quelle raison ?
Sergueï Jirnov — Ce n’est pas moi qui ai quitté le KGB, c’est plutôt le KGB qui m’a quitté ! Après le putsch d’août 1991, Gorbatchev a limogé le président du KGB Vladimir Krutchkov pour son rôle dans cette tentative de coup d’État et a donné l’ordre à son successeur, Vadim Bakatine, de liquider l’organisation en trois mois. Ce qui fut fait. Et, pour couronner le tout, le 26 décembre 1991, l’Union soviétique disparaissait. J’étais à l’époque infiltré à l’ENA. Et voilà qu’au bout de deux mois je perds à la fois mon employeur qui m’avait confié cette mission, le parti et le pays pour lequel mon service travaillait ! Je me suis donc retrouvé au milieu de nulle part, en autonomie totale. J’ai profité huit mois plus tard de mon congé en Russie pour donner ma démission, qui a été acceptée au mois de décembre 1992. J’ai ensuite terminé mon cursus à l’ENA puis exercé des activités en accord avec ma formation civile initiale.
P. I. — Votre famille était-elle proche du parti communiste ?
S. J. — Mon père n’était pas membre du Parti, mais ma mère oui. Elle y a même exercé des responsabilités. Il faut bien dire que sans ces attaches familiales je n’aurais pas pu faire la carrière que j’ai faite. Je n’aurais pas pu, par exemple, entrer à l’Institut des relations internationales de Moscou (MGIMO) pour la bonne raison que personne n’y était admis sans la recommandation du Parti. Il a donc fallu jouer le jeu. Quand j’étais au MGIMO, le KGB m’a proposé de le rejoindre et je me suis laissé tenter. Au fond, cet engagement allait à l’encontre de mes convictions, mais c’était un bon moyen pour moi de voyager à l’étranger.
P. I. — Quel a été votre parcours professionnel à la sortie de l’ENA ?
S. J. —J’ai circulé entre la Russie, la Suisse et la France. Je m’étais établi à mon compte comme conseiller privé en relations économiques internationales. En 1995, j’ai commencé à travailler pour des cliniques privées suisses aux alentours du lac Léman, en particulier pour le groupe d’investisseurs qui gère la clinique de Genolier et qui possède également l’Intercontinental de Montreux. J’étais chargé de rechercher des clients russes fortunés qui souhaitaient se faire soigner à l’étranger. Il se trouve que j’avais conservé des contacts utiles à l’intérieur de l’appareil du comité central de feu le Parti communiste qui, entre-temps, s’était transformé en administration de la présidence de Russie, et qui possédait en son sein un centre médical. C’est ainsi qu’en 1996 je me suis retrouvé malgré moi dépositaire d’un lourd secret d’État. Ce secret, c’était que Eltsine était malade, à tel point qu’il pouvait mourir à tout instant en pleine campagne présidentielle — une campagne déjà risquée pour le président sortant crédité d’à peine 3 % des voix. Ce centre médical m’a posé la question : était-il possible de procéder à un quadruple pontage coronarien en Suisse dans …
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