Né en 1955 à Téhéran, Mohsen Sazegara a étudié le génie mécanique, la physique et l’histoire à Téhéran puis à l’Institut technologique de l’Illinois (Chicago) et à l’Université de Londres. Très actif au sein des associations d’étudiants islamiques en Iran puis à l’étranger, membre du Mouvement pour la libération de l’Iran, il a rejoint en octobre 1978 l’ayatollah Khomeyni dans son refuge de Neauphle-le-Château. Après la victoire de la Révolution islamique, Mohsen Sazegara fut successivement directeur de la radio nationale, puis PDG de l’Organisation iranienne pour le développement industriel et la rénovation (IDRO) et, enfin, vice-ministre de la Planification et du Budget. Rallié au camp des réformateurs — l’opposition interne à la République islamique —, il fut emprisonné à plusieurs reprises et finira par quitter son pays pour les États-Unis après une longue grève de la faim en 2003.
Enseignant et chercheur à Yale, Harvard et Washington D.C, il est devenu une figure reconnue de l’opposition libérale en exil : il a contribué à la création de l’Alliance pour la démocratie en Iran et siège à la direction du Conseil de transition iranien depuis 2019. Il est l’un des meilleurs connaisseurs du Corps des Gardiens de la Révolution, le « dragon à sept têtes » officiellement fondé le 22 avril 1979 et dont il fut l’« inventeur ».
M. T.
Michel Taubmann — La première attaque massive de l’Iran contre Israël, le 14 avril dernier, constituait-t-elle une erreur stratégique ou un tournant annonciateur d’une confrontation plus ample ?
Mohsen Sazegara — Avec cette attaque majeure le Guide suprême Khamenei a commis une erreur. Ce changement de doctrine militaire, qui a vu l’Iran passer de la guerre asymétrique à la guerre classique contre Israël et ses alliés, a marqué le début d’une aventure dont l’issue, incertaine, pourrait ne pas être en faveur de la République islamique.
M. T. — En quoi la deuxième attaque, ce 1er octobre, diffère-t-elle de celle d’avril dernier ?
M. S. — Cette fois, l’Iran a monté d’un cran en utilisant 181 missiles balistiques qui ont atteint Israël en dix à douze minutes, et la charge explosive totale qu’ils transportaient était deux fois plus puissante qu’en avril. Cette offensive a causé des dégâts matériels plus importants, mais elle n’a tué qu’une personne… ironie de l’histoire, c’était un Palestinien ! Cette deuxième attaque a mis en évidence un rapport de forces très favorable à Israël, d’un strict point de vue militaire.
M. T. — De quels moyens militaires la République islamique dispose-t-elle encore pour combattre Israël ?
M. S. — Les capacités en missiles de la République islamique ne sont pas illimitées, et elle ne peut répéter que quatre ou cinq fois une attaque comme celle du 1er octobre. En réalité, l’Iran compte essentiellement — et depuis toujours — sur ses « proxys ». Or cette « ceinture de feu » qui la protégeait est en train de se fissurer sous les coups très sévères portés par Israël au Hezbollah. Et sans cette « ceinture de feu », si l’on en vient à une confrontation directe, l’Iran ne peut pas gagner.
M. T. — Quelles seraient les répercussions politiques à l’intérieur du pays d’une défaite militaire, directe ou indirecte ?
M. S.— Il est très difficile d’évaluer toutes les dimensions d’un échec potentiel mais, dans tous les cas, la politique d’encerclement d’Israël par les « proxys » iraniens, voire d’élimination, apparaîtra comme une chimère. Or la disparition de l’« entité sioniste », comme ils disent, et la « libération d’Al-Qods » (Jérusalem) sont les deux fondements idéologiques du régime depuis la Révolution islamique en 1979. Si ces objectifs se révélaient irréalisables, la minorité de la population encore acquise au régime risquerait de plonger dans une crise profonde. Le mécontentement au sein des forces armées et de la population iranienne s’accroîtrait.
M. T. — Un échec militaire de la République islamique contre Israël aurait-il des conséquences sur l’équilibre des pouvoirs entre les clans en lice pour succéder à Khamenei ? Existe-t-il aujourd’hui des désaccords stratégiques entre les dirigeants iraniens ?
M. S. — L’implication dans une guerre avec Israël se heurte déjà à une sérieuse opposition au sein des rangs moyens et inférieurs de l’armée, du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI), du ministère du Renseignement et du renseignement du CGRI. Il existe également de fortes réticences parmi les membres du gouvernement et de l’appareil bureaucratique du pays. Selon une enquête du ministère du …
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