Grégory Rayko — Hayat Tahrir al-Sham (HTS), émanation du Front al-Nosra, a-t-il véritablement changé ? Faut-il accorder du crédit aux déclarations de son chef, Abou Mohammed al-Joulani (qui, d’ailleurs, ne souhaite plus être appelé ainsi et préfère reprendre son nom de naissance, Ahmed Hussein al-Chara) lorsqu’il affirme avoir complètement rompu avec Al-Qaïda ?
Thomas Pierret — J’ai tendance à le croire. Non pas parce qu’il serait fondamentalement sincère, mais simplement parce qu’il fait face à des contraintes énormes. Il ne faut pas imaginer qu’il agit en toute liberté. Le fait qu’il soit soudainement devenu chef de la Syrie ne signifie pas qu’il ait les mains libres pour faire ce qu’il veut. Il se retrouve à la tête d’un État en ruine, quasiment démilitarisé, surtout après les derniers événements : au cours de ces derniers jours, Israël a détruit ce qui restait de l’armée syrienne en réalisant 300 frappes à travers le pays.
La Syrie n’a plus de force aérienne, plus de défense côtière, plus de systèmes de défense aérienne opérationnels — plus rien. Par ailleurs, le territoire est fragmenté, avec la présence de nombreux groupes armés. On y trouve l’État islamique, les Kurdes, ainsi que des bases militaires américaines et russes (1). C’est donc une région extrêmement dangereuse, encerclée par des ennemis lourdement armés.
Certes, Joulani lui-même est le chef d’un important mouvement rebelle, bien organisé, qui a réussi à s’imposer en dix jours. Mais la tâche qui l’attend est extraordinairement ardue. Il devra forcément adopter une approche de realpolitik. Et la realpolitik, c’est l’inverse de l’idéologie.
Si l’on se concentre exclusivement sur son passé au sein d’Al-Qaïda on risque de passer à côté de l’essentiel. L’essentiel, c’est de savoir quelles alliances il saura nouer pour construire et maintenir son pouvoir.
G. R. — Avant de parler de ses alliances potentielles, une autre question s’impose : dans quelle mesure Joulani est-il réellement le seul maître à bord au sein du HTS ? Est-il totalement incontesté ? Sa victoire lui confère-t-elle un prestige qui le rend intouchable, ou bien subsiste-t-il encore des forces internes à HTS qui pourraient remettre en question la ligne pragmatique qu’il incarne ?
T. P. — Apparemment, au sein du HTS, Joulani a désormais fait le vide autour de lui. Il y a moins d’un an, il a procédé à des purges qui ont touché jusqu’au numéro deux et au numéro trois de l’organisation. Ces mesures ont consolidé son autorité de manière décisive.
Ces purges représentent le point culminant d’un processus amorcé bien plus tôt, dès qu’il a commencé à prendre ses distances avec Al-Qaïda en 2016. Depuis, ce processus n’a jamais vraiment cessé. À chaque étape, il s’est attaqué à des cercles de plus en plus proches et influents parmi les dirigeants du HTS. Aujourd’hui, il a écrasé toute opposition interne : plus aucune tête ne dépasse, à l’exception de la sienne.
G. R. — Ces personnalités dont il s’est débarrassé, étaient-elles avant tout réticentes à son évolution pour des raisons idéologiques ? Ou bien les purges répondaient-elles à d’autres motivations ?
T. P. — …
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