Politique Internationale — Commençons par un diagnostic : quel a été l’impact des événements du 7 octobre sur le conflit israélo-palestinien et plus généralement sur les équilibres du Moyen-Orient ?
Gilles Kepel — Le 7 octobre a complètement changé la donne. Sinouar, en lançant sa razzia pogromiste, a infligé à Israël sa pire défaite militaire depuis 48 ans et provoqué un traumatisme majeur dans la société israélienne. Le nombre de morts et l’atrocité des massacres ont réveillé les souvenirs du génocide des Juifs par les nazis. Les équilibres s’en sont trouvés totalement bouleversés. Autrefois, un attentat qui faisait dix morts était considéré comme une catastrophe nationale. Depuis le 7 octobre, le système militaro-politique israélien est tellement déstabilisé que désormais on ne compte plus les pertes. La guerre au Liban, par exemple, a fait au moins 80 morts israéliens, et personne n’en parle. Ce n’est plus un enjeu. Surtout, par-delà le choc et le sentiment d’horreur, on découvre rétrospectivement que le Hamas a pris cette décision de son propre chef, c’est-à-dire sans en référer explicitement à Téhéran et a fortiori sans avoir obtenu son feu vert. Cette révélation a fortement ébranlé le système iranien et a permis à Israël de prendre des initiatives inédites. Il y a eu deux types de riposte israélienne. La première a été réactive : dans l’esprit de Netanyahou, le bombardement de Gaza et les massacres de civils qui ont suivi étaient justifiés par une espèce de loi du talion. Il fallait absolument montrer que l’État d’Israël n’était pas faible et qu’il était capable d’infliger des dommages bien pires que ceux qu’il avait subis : des civils ont été tués en masse, des populations ont été forcées à l’exode. Mais cette logique a rapidement montré ses limites à la fois politiques et militaires. En réalité, les Israéliens n’avaient pas la main militairement parlant, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas réussi à trouver les otages ni à descendre dans les tunnels, ils étaient aveugles et sourds. Cette offensive avait aussi pour but d’apaiser la population israélienne et de faire diversion afin d’éviter de poser la question centrale : pourquoi Netanyahou n’avait-il pas prévu le coup ? Et pourquoi tout cela s’est-il traduit par une dégradation de l’image d’Israël à l’étranger, allant jusqu’à des accusations de génocide ?
P. I. — De quelle nature a été la seconde riposte israélienne ?
G. K. — Elle a été proactive. Les Israéliens ont très vite compris qu’ils avaient là une opportunité extraordinaire pour détruire pan par pan l’axe de la résistance iranienne : Syrie, Hezbollah, Houthis, Hamas, milices irakiennes et, bien sûr, Iran.
Ils ont commencé par le maillon le plus faible, la Syrie de Bachar el-Assad, un régime d’incurie, de corruption et de violence qui ne tenait que grâce à l’appui des services secrets iraniens, des Pasdarans et des miliciens du Hezbollah. Personne n’allait protester contre ces bombardements. Les seuls qui auraient pu réagir, c’étaient les Russes, mais ils étaient occupés en Ukraine. Grâce à leur maîtrise de la technologie et de l’intelligence artificielle, les Israéliens ont méthodiquement éliminé tous les …
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