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Syrie : Erdogan à la manœuvre

Grégory Rayko Peut-on dire que Recep Tayyip Erdogan a donné son feu vert aux rebelles syriens pour leur opération éclair qui a abouti, en une dizaine de jours, à l’effondrement du régime de Bachar al-Assad ?

Marie Jégo — Il est possible qu’Erdogan ait donné son aval aux rebelles pour leur opération. Mais il ne s’attendait sans doute pas à ce qu’ils arrivent jusqu’à Damas. Une chose est sûre, c’est qu’Erdogan était ulcéré par Assad, à qui il avait plusieurs fois tendu la main au cours des derniers mois et même au cours des dernières semaines, et qui lui avait systématiquement opposé des fins de non-recevoir. Erdogan voulait qu’Assad accepte de mettre en place à Damas une sorte de gouvernement d’union nationale composé de groupes qui, jusqu’ici, n’étaient absolument pas représentés au sein du pouvoir syrien. Il faut rappeler que l’impératif d’une négociation avec l’opposition a fait l’objet en 2015 d’une résolution des Nations unies en vue d’un règlement politique en Syrie.

Erdogan voulait également qu’Assad donne des gages aux millions de réfugiés syriens se trouvant actuellement sur le sol turc afin que ceux-ci puissent, s’ils le souhaitaient, revenir en Syrie. Ils sont encore plus de 3 millions à résider en Turquie, notamment dans le sud du pays, où ils sont largement majoritaires dans certaines localités. Leur présence attise le mécontentement d’une partie des électeurs turcs, ce qui est pour beaucoup dans les mauvais résultats enregistrés par le parti d’Erdogan, l’AKP, aux municipales de mai dernier. Le Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste), la principale force d’opposition, a fait de l’expulsion de ces réfugiés l’un de ses chevaux de bataille. Sur ce sujet, la posture d’Erdogan — c’est lui qui a accueilli ces millions de Syriens et qui est à ce titre comptable de la situation — devient de plus en plus intenable à l’intérieur. Et le refus obstiné d’Assad de faire preuve de la moindre ouverture a sans doute profondément contrarié le président turc.

G. R. Qui sont ces réfugiés syriens, et comment vivent-ils en Turquie aujourd’hui ?

M. J. Ce sont des gens qui sont originaires pour la plupart des régions sunnites de Syrie, qu’ils ont dû quitter il y a une dizaine d’années, au plus fort de la guerre civile, lorsque ces zones, les places fortes de la rébellion, étaient attaquées par l’armée d’Assad et ses alliés, spécialement par l’aviation russe.

Erdogan leur a ouvert les portes de son pays. Ils s’y sont installés dans l’espoir de pouvoir rentrer chez eux un jour. En attendant, ils y ont fait leur vie. Bon nombre d’entre eux ont ouvert des petits commerces ou des échoppes d’artisans. Beaucoup d’enfants d’origine syrienne sont nés en Turquie, y sont scolarisés et parlent le turc ; d’autres, nés en Syrie et arrivés jeunes, ont fait leurs études sur place et y ont obtenu des diplômes universitaires. La situation des Syriens de Turquie n’est donc pas nécessairement précaire, même si c’est le cas pour une partie d’entre eux.

Certains aimeraient donc rester en Turquie …