Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'Afghanistan aux Afghans

Née en 1975 dans une région rurale, Fawzia Koofi débute sa carrière politique en 2001, après la chute du premier gouvernement des talibans (1996-2001). Elle souhaite alors défendre la cause des femmes afghanes et faire évoluer une société empreinte d’une violence systémique encore amplifiée par plus de vingt années de guerre (invasion soviétique de 1979 à 1989, puis guerre civile afghane conclue par la victoire des talibans en 1996).

Élue au Parlement en 2005, elle en devient rapidement une figure centrale en raison de ses multiples actions en faveur des femmes et des enfants, notamment pour promouvoir l’éducation des filles, l’accès des femmes aux soins de santé et leur participation à la vie politique. Elle occupe le poste de vice-présidente du Parlement afghan pendant quatorze ans (2005-2019), renforçant ainsi son influence politique.

En 2015, Fawzia Koofi est nominée pour le prix Nobel de la paix en hommage à son travail pour les droits des femmes, à son engagement en faveur de la paix, ainsi qu’à son rôle crucial dans les efforts de réconciliation nationale.

Son parcours politique a été jalonné de nombreux obstacles, allant jusqu’à des menaces de mort et même des attentats. En 2020, après avoir été blessée par balle lors d’une attaque contre sa voiture, elle participe aux négociations de paix à Doha, qui font suite à l’accord signé entre les États-Unis et les talibans en février 2020. Les accords prévoient le retrait progressif des troupes américaines et de l’OTAN en échange de garanties données par les talibans en matière de lutte contre le terrorisme et de respect du processus de paix.

Après le retour au pouvoir des talibans en 2021, son parti politique, le « Mouvement pour le changement en Afghanistan », est interdit et elle est contrainte de fuir le pays. Depuis l’exil, elle continue de militer pour faire entendre la voix de l’opposition et sensibiliser la communauté internationale à la situation insoutenable des femmes dans son pays natal.

Après le best-seller Lettres à mes filles (publié en 2011 et traduit en dix langues), elle publie en janvier 2025 un nouveau livre, Lettres à mes sœurs (éditions Michel Lafon).

N. R.

Natalia RoutkevitchVous avez quitté l’Afghanistan en 2021 lorsque les talibans sont revenus au pouvoir. Avez-vous encore des contacts avec des gens restés sur place ? Comment la vie des Afghans — et spécialement des Afghanes — a-t-elle changé depuis cette date ?

Fawzia Koofi — Je suis partie en septembre 2021, mais j’ai encore mes bureaux en Afghanistan. Ma maison, ma famille, mes frères, mes sœurs, mes cousins et mes collègues s’y trouvent toujours, et je suis régulièrement en contact avec eux. J’ai conservé mon numéro de téléphone afghan, ce qui permet à de nombreuses personnes de me joindre. Je vis en quelque sorte à l’heure de l’Afghanistan !

Aujourd’hui, 90 % de la population afghane vit dans des conditions de pauvreté extrême. Mais ce n’est pas la priorité des talibans qui cherchent, avant tout, à assurer la sécurité et à renforcer leur appareil de renseignement et de répression. Les talibans investissent toute leur énergie et toutes leurs ressources dans le renseignement afin de maintenir leur pouvoir, et non dans des initiatives visant à améliorer la vie des gens. J’ajoute que toute personne qui s’exprime sur Facebook, sur Twitter ou qui publie quoi que ce soit, risque d’être arrêtée.

Des contrats qui portent sur le commerce ou la coopération technique ont été signés avec la Chine, l’Iran et l’Ouzbékistan, mais ils n’ont eu aucun impact sur la vie quotidienne des Afghans. La pauvreté demeure un problème majeur. Les femmes, en particulier, sont durement touchées : leur exclusion du marché du travail coûte chaque année au moins 1 milliard de dollars à l’économie du pays (1).

La situation générale est sombre. Celle des femmes afghanes est encore plus dramatique. Les talibans ont publié plus de 100 décrets et circulaires restreignant systématiquement leurs droits. Ils ont commencé par les exclure du système éducatif puis ont élargi ces mesures jusqu’à leur interdire les formations en soins infirmiers. Tout récemment, ils ont décrété que les fenêtres des maisons devaient être rétrécies pour empêcher que les femmes soient visibles de l’extérieur. C’est une véritable guerre qui leur est déclarée.

N. R.N’y a-t-il pas eu des changements positifs ? On lit parfois qu’il y a moins de violence armée, moins de corruption, que les problèmes humanitaires sont gérés plutôt correctement par la nouvelle administration. Qu’en disent vos interlocuteurs afghans ?

F. K. — La sécurité est un acquis dont les talibans sont fiers. Pourtant, Daech a gagné en influence (2). L’insurrection s’est intensifiée, et le nombre de combattants en Afghanistan a augmenté. Beaucoup sont d’anciens responsables de la sécurité qui voient dans l’État islamique un moyen d’échapper à la répression du régime des talibans. Ils n’ont pas de passeport qui leur permettrait de quitter le pays, et s’ils se rendent illégalement en Iran ou au Pakistan, ils sont expulsés et renvoyés chez eux.

Plus fondamentalement, je ne pense pas qu’on puisse affirmer que les talibans ont rétabli la sécurité. En réalité, ils étaient eux-mêmes une source majeure d’insécurité. Ils ont tué des civils, attaqué des hôpitaux et même une …