
Docteur d’État en sciences économiques, Jean-Louis Levet a exercé de multiples responsabilités publiques avec comme fil conducteur l’économie industrielle et le développement international.
Denis Bachelot — En tant que Haut Responsable à la Coopération technologique et industrielle franco-algérienne de 2013 à 2019, vous avez mené à bien plus d’une cinquantaine de projets de partenariat entre entreprises, universités et centres de recherche. Votre regard est donc à la fois celui d’un analyste et d’un acteur de la vie économique franco-algérienne. Les récentes vagues d’expulsions réciproques de diplomates français et algériens marquent-elles, selon vous, une dérive incontrôlable du conflit entre les deux pays ?
Jean-Louis Levet — Jamais, depuis, 1962, les tensions politiques entre la France et l’Algérie n’ont atteint une telle intensité. C’est particulièrement vrai depuis la reconnaissance par le président français, le 30 juillet 2024, de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental — une rupture par rapport à la position traditionnelle de la France jusque-là alignée sur l’ONU qui considère cette région comme un territoire au statut non défini.
La liste commence à être longue : incarcération en novembre 2024 de l’écrivain algérien Boualem Sansal (naturalisé français en juin 2024), âgé de 80 ans, atteint d’un cancer et condamné en mars dernier à cinq ans de prison, la justice lui reprochant rien de moins que d’avoir attenté à la sûreté de l’État ; déclaration du premier ministre François Bayrou, menaçant de dénoncer l’accord de 1968 qui accorde aux Algériens vivant en France un statut particulier en matière de circulation, de séjour et d’emploi si les autorités algériennes continuent de refuser de reprendre leurs ressortissants en situation irrégulière ; arrestation en France de propagandistes (je préfère ce terme à celui « d’influenceurs ») pour apologie de la violence sur les réseaux sociaux ; expulsions de fonctionnaires français après une première expulsion d’une quinzaine de membres de l’ambassade de France ; décision de l’Algérie de suspendre ses importations de blé tendre et de jeunes bovins en provenance de France, etc.
Ces tensions impactent les relations économiques entre les deux pays, mais aussi la vie d’un grand nombre de citoyens de part et d’autre de la Méditerranée et d’entreprises. Par exemple, de nombreux Algériens vivant en France s’interrogent sur le renouvellement de leur carte de séjour tandis que des Franco-Algériens craignent de ne pas obtenir un visa pour retourner en Algérie.
D. B. — Comment analysez-vous les prises de position des responsables politiques français dans le déroulé de cette crise ?
J.-L. L. — Le point commun entre les autorités des deux États est la confusion volontaire entre politique étrangère et politique intérieure. Du côté français, des responsables politiques englués dans une communication à court terme s’avèrent incapables d’agir dans la durée et de comprendre l’intérêt mutuel d’un partenariat avec l’Algérie.
Le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau regrette que la France « n’ait pas établi un rapport de force suffisamment prégnant avec l’Algérie » ; Laurent Wauquiez, le président de la région Rhône-Alpes, veut envoyer les « étrangers dangereux » sous OQTF à Saint Pierre et Miquelon ; l’ancien premier ministre Édouard Philippe insiste sur la …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
- Historiques de commandes
- Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés
- Informations personnelles