

Politique Internationale — Si les Israéliens et les Américains avaient poursuivi leur opération, pensez-vous qu’ils auraient pu susciter la chute de la mollarchie iranienne ?
Emmanuel Razavi — C’est très probable. C’est en tout cas ce qu’attendaient beaucoup d’Iraniens. Ils pensaient que les Israéliens cherchaient à créer un contexte propice à un soulèvement. Je voudrais souligner un point qui me paraît essentiel : aujourd’hui, on sait précisément que les deux tiers de la population sont contre le régime. Comment le sait-on ? Il y a deux ans, le Bassidj, la milice civile des Gardiens de la révolution islamique, qui est doté d’un service de renseignement, a commandé une étude à la demande du Guide suprême Ali Khamenei. À la question « Que pensent les Iraniens de la République islamique ? », les gens ont répondu à 71 % qu’ils n’en voulaient plus. Il s’agit d’un document interne, donc au-dessus de tout soupçon. Ce n’est pas la première fois que de tels documents fuitent jusqu’aux Occidentaux, certains sont faux, d’autres sont vrais. Mais celui-ci indique clairement qu’il existe une énorme fracture entre une majeure partie des Iraniens et ceux qui les gouvernent. Cette fracture entre le peuple et le régime intervient dans un contexte de divergences importantes entre les conservateurs issus de la révolution islamique de 1979 et ceux qu’on appelle les « réformateurs ». Je mets des guillemets à « réformateurs » parce que ce sont, en fait, des affairistes plutôt mafieux, qui investissent notamment dans les trafics d’armes et de drogue ou la prostitution des mineurs. Ils ne sont pas hostiles à une ouverture vers l’Occident qui leur permettrait de conserver la mainmise sur le business qu’ils contrôlent avec certains dirigeants des Gardiens de la révolution.
P. I. — La société civile iranienne a-t-elle les moyens de déstabiliser le régime ?
E. R. — Il faut réunir les conditions qui permettent aux Iraniens de descendre dans la rue, comme ils l’ont fait à plusieurs reprises. La dernière fois, c’était lors de la révolution Femme, vie, liberté qui a été réprimée dans le sang et s’est soldée par des milliers d’arrestations, de disparitions, de viols. Aujourd’hui, les Iraniens ne peuvent pas manifester pour la simple raison qu’ils ne sont pas armés et que les puissances occidentales ne les soutiennent pas. Les Iraniens de l’intérieur que j’ai pu interroger, aussi bien des gens assez simples, des éleveurs, des chauffeurs de taxi, que des médecins ou des cadres disent tous qu’ils ont été extrêmement déçus par la position de l’Europe, en particulier par celle de la France, qui a consisté à ménager les mollahs à un moment où l’on pouvait essayer de faire tomber le régime. Il y a aujourd’hui une vraie déception. Mais les Iraniens ne sont pas prêts à retourner dans la rue s’ils n’ont pas l’assurance d’un soutien extérieur.
P. I. — Les Européens et les Américains devraient-ils livrer des armes à l’opposition ?
E. R. — Non, il ne s’agit pas de cela. Pour paralyser l’économie, il faut lancer de grands mouvements de grève au sein d’entreprises clés comme les fournisseurs …
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