
Yoram Hazony, 61 ans, est un penseur politique israélien de renommée internationale, figure de proue du mouvement national-conservateur contemporain. Présenté par certains médias comme une « véritable éminence grise des dirigeants nationalistes, de Jérusalem à Washington » (1), il exerce en effet une influence intellectuelle importante sur plusieurs leaders politiques, notamment aux États-Unis, en Israël et en Europe centrale. Hazony est le président de la Edmund Burke Foundation et l’un des fondateurs de la National Conservatism Conference, un rendez-vous annuel lancé en 2019 qui réunit penseurs, universitaires et responsables politiques autour d’une vision ancrée dans la souveraineté nationale, l’héritage judéo-chrétien et le conservatisme culturel. Cette conférence a notamment accueilli des figures comme Viktor Orbán, Giorgia Meloni ou encore J. D. Vance. Son ouvrage Les Vertus du nationalisme (2020), traduit en plusieurs langues et présenté comme le manifeste du mouvement « nat-con », sera réédité en France et dans d’autres pays cet été, à un moment où les débats sur l’identité nationale et la souveraineté connaissent un regain d’intensité. À travers ses écrits et ses interventions, Yoram Hazony propose une alternative structurée à l’universalisme libéral.
$Natalia Routkevitch — Vous êtes régulièrement présenté comme un penseur influent auprès de dirigeants tels que Donald Trump et J. D. Vance, Viktor Orbán, Giorgia Meloni ou Benyamin Netanyahou. Assumez‑vous ce rôle ?
Yoram Hazony — Tous les dirigeants que vous mentionnez incarnent, chacun à sa manière, ce que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de national-conservatisme. Ce courant se présente comme une réaction à l’ordre libéral internationaliste, à l’idée selon laquelle la politique se réduirait à la défense des droits individuels, à l’égalité entre tous les êtres humains, et à la vision d’un monde sans frontières, où les nations deviendraient obsolètes.
Je reconnais que mes ouvrages ainsi que ceux de mes collègues du mouvement national-conservateur circulent dans ces milieux. Ils ont même parfois exercé une influence directe sur certains dirigeants — ou du moins sur ceux qui les entourent, rédigent leurs discours ou contribuent à l’élaboration de leurs politiques.
N. R. — Comment expliquez‑vous l’essor mondial, depuis une vingtaine d’années, du national-conservatisme tel que vous l’avez conceptualisé ?
Y. H. — C’est, pour l’essentiel, le résultat du dévoiement du libéralisme. En théorie, ce dernier pourrait évoluer de manière modérée, par le biais de réformes progressives. Mais une question majeure divise aujourd’hui les philosophes politiques : le libéralisme est-il capable de rester stable et viable sur plusieurs générations, ou bien est-il condamné, tôt ou tard, à se radicaliser, à se muer en une forme d’idéologie rigide, à l’instar du marxisme ?
Il s’agit là d’un débat fascinant sur le plan théorique, et nous ne disposons pas encore de réponse définitive. Ce que l’on peut dire avec certitude, en revanche, c’est qu’en 1989 — au moment de la chute du mur de Berlin — le libéralisme dominait sans partage la plupart des grands partis politiques dans les démocraties occidentales. Qu’il s’agisse de systèmes bipartites ou multipartites, tous partageaient, à quelques nuances près, une vision libérale du monde : attachement à l’individualisme, défense des droits et libertés, foi dans le progrès.
Mais en 2016, un tournant s’opère. Avec le Brexit et l’élection de Donald Trump, une réaction profonde se manifeste. Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis la fin de la guerre froide, et une part croissante des sociétés occidentales rejette désormais ce modèle. Nombre de citoyens, qui auraient pu rester attachés à un libéralisme modéré, se sentent poussés dans leurs retranchements sur plusieurs sujets sensibles.
Le plus emblématique est celui de l’immigration, et plus précisément de la capacité à défendre ses frontières, ce qui renvoie directement à la notion de souveraineté nationale. Dans de nombreux pays, c’est là que s’opère la rupture la plus nette entre le libéralisme dominant et une partie de l’opinion publique. Cela soulève une question fondamentale pour les valeurs humanistes européennes : que voulons-nous défendre au juste ? Un libéral bien intentionné répondra : les droits individuels, l’égalité, la liberté, héritées des Lumières. Mais que se passe-t-il lorsque, à la frontière, des étrangers viennent dire : « Bonjour, Monsieur le Libéral. Selon vos propres principes, je suis votre égal, je suis libre, donc je vais traverser la frontière et …
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