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Le « parachute de secours » : contours d’une dissuasion franco-britannique

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La France peut-elle « partager » sa dissuasion nucléaire ? L’idée revient régulièrement dans les débats. Mais il importe de clarifier cette notion de « partage ». De quoi parle-t-on exactement ? De la décision d’emploi ? Du budget nucléaire ? Des moyens de la dissuasion ? Du risque et des responsabilités afférents ? Le champ des possibles ne peut être défini qu’à partir de telles distinctions.

Il importe aussi d’envisager deux scénarios très différents : celui dans lequel les États-Unis maintiennent officiellement leur protection nucléaire de l’Europe ; et celui dans lequel l’Amérique aurait rompu le contrat de sécurité transatlantique. Une hypothèse à laquelle il nous faut désormais nous préparer.

Une « dimension européenne » déjà ancienne

Le programme nucléaire français n’a jamais été conçu comme strictement national. Aux origines, dans les années 1952-1954, il était même résolument inscrit dans une perspective atlantiste : il s’agissait d’accroître le statut de la France au sein de l’OTAN. Quant à la dimension européenne, elle fut évoquée dès le début, avec le projet dit « FIG » (France, Italy, Germany) de 1957-1958 (1).

Sous la Cinquième République, la France n’a jamais réservé sa dissuasion à la défense d’un sanctuaire, et c’est à tort qu’on a longtemps assimilé celle-ci à la défense égoïste d’intérêts strictement hexagonaux. De Gaulle faisait savoir en privé que la force nucléaire française protégeait ses voisins immédiats, notamment l’Allemagne. Dans des instructions données aux forces armées en 1964, il avait précisé que la France devait « se sentir menacée dès que les territoires de l’Allemagne fédérale et du Benelux seraient violés » (2).

La même année, Georges Pompidou, alors premier ministre, dans une déclaration importante mais quelque peu oubliée, déclarait publiquement : « Du seul fait que la France est en Europe, sa force [de dissuasion] joue pleinement et automatiquement au bénéfice de l’Europe, dont la défense est inséparable physiquement et géographiquement de la sienne propre, ce qui n’est pas le cas pour des forces, même alliées, extérieures au continent européen » (3).

Ainsi serait-il parfaitement inexact de prétendre que la vision gaullienne était celle d’une protection du seul « sanctuaire » français.

Le Livre blanc de 1972 le dit clairement : « La France vit dans un tissu d’intérêts qui dépasse ses frontières. Elle n’est pas isolée. L’Europe occidentale ne peut donc dans son ensemble manquer de bénéficier, indirectement, de la stratégie française qui constitue un facteur stable et déterminant de la sécurité en Europe. (..) Nos intérêts vitaux se situent sur notre territoire et dans ses approches. » Quelques années plus tard, le premier ministre Raymond Barre se voulait encore plus clair : la dissuasion nucléaire s’applique « essentiellement à notre territoire national, cœur de notre existence en tant que nation, mais également à ses approches, c’est-à-dire aux territoires voisins et alliés » (4).

La contribution indirecte de la dissuasion française à la sécurité de l’Alliance atlantique a valu à la France une reconnaissance officielle de l’intérêt de sa force de dissuasion (et de celle des Britanniques) aux yeux de ses alliés par la déclaration d’Ottawa (1974) : l’existence de forces nucléaires indépendantes compliquerait en effet le calcul de Moscou en temps de guerre, ce qui renforce la …