Les Grands de ce monde s'expriment dans

Pour une confédération israélo-palestinienne

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Michel TaubmannVous avez participé aux négociations avec Israël en 1992, 1993, 1994. Auriez-vous imaginé à l’époque la situation qui prévaut trente ans plus tard ?

Marwan Muasher — Bien sûr que non ! Rappelez-vous, la conférence de Madrid en 1991. La Jordanie était présente aux côtés de la Syrie, du Liban et d’une délégation palestinienne. Nous avions reçu des assurances de la part des Américains en vue d’un règlement global de tous les conflits. C’était un moment très joyeux et plein d’espoir. L’un des meilleurs souvenirs de ma carrière se situe en 1993 : Rabin serrant la main d’Arafat devant la Maison-Blanche.

M. T.Et quel est le pire de vos souvenirs ?

M. M. — Ils ne manquent pas, hélas ! D’abord, ce jour horrible de 1994 où l’extrémiste juif Baruch Goldstein a tué 29 musulmans palestiniens au tombeau des Patriarches à Hébron. Un autre mauvais souvenir ?  L’assassinat de Rabin en novembre1995. Je l’ai vécu de près. En tant qu’ambassadeur de Jordanie, j’étais assis juste à côté de lui ce soir-là lors du grand meeting des partisans de la paix. J’en suis parti peut-être une minute avant qu’il ne soit abattu. Cela a probablement marqué le début de la fin du processus de paix tel que nous le connaissions.  

M. T.Comment expliquez-vous que la paix avec l’Égypte en 1978 et la Jordanie en 1994 soient restées des paix « froides » sans adhésion des peuples ni dynamique économique, contrairement à la normalisation avec le Maroc et aux accords d’Abraham signés en 2020 avec les Émirats arabes unis et le Bahreïn ?

M. M. — Les objectifs étaient très différents. Les Marocains ont signé un traité de normalisation en échange d’une promesse des Américains de soutenir leur revendication sur le Sahara occidental. Les Émiratis, eux, ont mis de côté le conflit israélo-palestinien pour privilégier des mesures de coopération économique et sécuritaire avec Israël. Quant à la Jordanie, elle avait signé la paix dans le but essentiel d’empêcher l’établissement d’un État palestinien empiétant sur son propre territoire. Mais au fil du temps, Israël affirmant de plus en plus clairement son refus de mettre fin à l’occupation et d’établir un État palestinien, les relations n’ont cessé de se détériorer. En trente ans, nous n’avons pas pu tisser les liens économiques solides que nous avions le projet d’inscrire dans un triangle Israël/Jordanie/Palestine — un triangle qui n’a jamais vu le jour. La même situation prévaut pour l’Égypte cinquante ans après la signature du traité de paix.

M. T.De toutes les personnes que vous avez rencontrées, laquelle vous a le plus impressionné par sa compréhension de la situation ?

M. M. — Incontestablement, le président Clinton. J’ai travaillé avec lui d’abord en tant que porte-parole de la délégation jordanienne avant les accords d’Oslo puis, plus tard, comme ambassadeur à Washington. Un homme très intelligent et très impressionnant. Il connaissait parfaitement les détails complexes de la géographie et de l’histoire de la région, par exemple les noms des villages palestiniens qui devaient être échangés avec …