Sabine Renault-Sablonière — Vous avez été ministre aux Affaires européennes et député européen pendant deux décennies. Pourquoi vous a-t-il semblé utile de créer l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe (OHTE) qui dépend du Conseil de l’Europe, et que vous présidez ? Que fait cet Observatoire ? Quels sont ses objectifs ?
Alain Lamassoure — La construction européenne a permis un miracle : la « paix européenne », c’est-à-dire la réconciliation entre les fauteurs européens des deux guerres mondiales. Et son extension à tous les membres de l’Union d’aujourd’hui. Pourtant, depuis le début du XXIe siècle, nous voyons renaître dans les démocraties, y compris dans l’Europe réconciliée, des mouvements extrémistes, xénophobes, racistes, aux accents nationalistes. Je me suis demandé si l’une des origines de ce phénomène ne se trouvait pas dans la mauvaise qualité de l’enseignement de l’histoire à l’école. Politiquement, le sujet est un champ de mines. L’Union européenne elle-même n’a d’ailleurs pas de compétence sur le contenu de l’éducation. En revanche, le Conseil de l’Europe, qui regroupe les 48 pays du Vieux Continent, peut faire des recommandations sur tout ce qui relève de la transmission des valeurs communes. Nous avons proposé la création modeste d’un Observatoire de l’état de l’enseignement de l’histoire à l’école, organe adossé au Conseil de l’Europe, mais politiquement, juridiquement et financièrement indépendant de lui, ouvert à tous les États européens intéressés par la démarche. Notre objectif n’est pas de commenter, mais simplement de révéler l’état des lieux. À chacun ensuite d’en tirer les conclusions politiques qu’il jugera pertinentes.
S. R.-S. — Pensez-vous que l’enseignement de l’histoire peut avoir une influence sur la géopolitique ? Et, si oui, laquelle ?
A. L. — Bien évidemment. Ce n’est pas un hasard si l’histoire est apparue à l’école avec la création des nations et le mouvement des nationalités, pour l’essentiel au XIXe siècle. L’histoire, telle qu’elle était enseignée à l’école, avait alors pour but de former les futurs combattants dans l’exaltation de la gloire de leurs anciens et dans la promesse de se montrer dignes d’eux. Ce n’est pas un hasard non plus si, en lançant son offensive, d’abord diplomatique, contre l’Ukraine et l’Occident, à l’automne 2021, Poutine a publié un ouvrage intitulé Histoire de la Russie et de l’Ukraine, signé de son nom. Il prétendait y faire la démonstration que l’Ukraine n’avait jamais existé que sous un pouvoir nazi. Cette négation grossière a été aussitôt reprise dans les manuels scolaires russes. Tous les pouvoirs despotiques utilisent l’histoire pour leur propagande. Xi Jinping ne fait pas autre chose en Chine, en réhabilitant Mao au détriment de Deng Xiaoping. Un cas extrême fut celui de Nasser, dans sa croisade panarabe : selon l’état de sa relation avec ses voisins arabes du Proche-Orient, la bataille de Qadesh, 1274 avant Jésus-Christ, illustrée dans le grand temple d’Abou Simbel, était présentée dans les manuels égyptiens comme une grande victoire de Ramsès II ou comme celle de ses adversaires Hittites…
S. R.-S. — Comment avez-vous réussi à attirer les premiers membres de votre Observatoire ? Qui sont vos interlocuteurs ? Quel …
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