Les Grands de ce monde s'expriment dans

Le métier des armes, un engagement si singulier…

Politique InternationaleAu fil de votre carrière, vous avez observé au plus près les grands bouleversements géopolitiques : la guerre froide, la fin de l’Histoire — comme on l’a appelée —, la fin de la fin de l’Histoire… Puis aujourd’hui le retour de la guerre à haute intensité. Parmi tous ces épisodes, qu’est-ce qui était prévisible et qu’est-ce qui ne l’était pas ?

François Lecointre — Personne ne peut tout prévoir. La créativité humaine est trop puissante et les avatars de l’Histoire trop fréquents pour statuer avec précision en amont sur les conséquences de certains facteurs. Il serait stupide de vouloir jouer les Nostradamus. Il s’avère que le 11 septembre 2011, j’étais en réunion à l’état-major de l’armée de terre. J’ai encore en mémoire la sidération absolue qui régnait dans cette enceinte. Si quelqu’un, quelques jours, quelques semaines ou quelques mois auparavant, avait dit à ses compagnons officiers que deux avions allaient percuter deux tours à New York dans le cadre d’une attaque terroriste, tout le monde l’aurait pris pour un plaisantin…

En revanche, ce qui était prévisible, c’est que la guerre n’allait jamais cesser. Après la chute du mur de Berlin et le délitement progressif du glacis soviétique, il était presque admis que les conflits, en tout cas sous leur forme traditionnelle, allaient devenir archaïques et renvoyer à une époque révolue. À écouter certains, le monde allait pouvoir passer à autre chose, les hommes renoncer à la guerre et l’humanité s’inscrire dans une perspective de réconciliation générale. Je n’ai jamais cru un seul instant à cette fin unilatérale des hostilités.

P. I.Qu’est-ce qui vous donnait ce sentiment que, contrairement aux assertions de nombreux « experts », la guerre avait encore de beaux jours devant elle ?

F. L. — Nous le constations sur le terrain. Nous troupes continuaient d’être engagées dans un grand nombre de conflits à travers le monde. Certes, les zones étaient plus circonscrites qu’au cours d’un passé proche et il s’agissait de faire face à des groupes de combattants plutôt qu’à des armées régulières. Mais ce contexte d’États faillis, avec des désordres majeurs à la clé, témoignait que nous étions aux antipodes d’une humanité pacifiée. Par ailleurs, il ne faut jamais oublier la provenance du sentiment de sécurité que l’on peut éprouver dans la plupart des pays développés. Cette stabilité, qui coïncide souvent avec une domination économique, technologique et militaire, a été obtenue de haute lutte ; de quoi à la fois susciter du ressentiment et faire des envieux, de telle sorte que d’autres pays veulent reprendre la main. Les ferments d’affrontement ne sont pas enfouis très profondément.

P. I.En marge de la guerre qui s’arrête, une autre idée a fait florès : celle d’une guerre propre. On se remémore la guerre du Golfe, avec des images semblant tout droit tirées de jeux vidéo. Et un discours parlant à l’envi de frappes chirurgicales, comme si les dommages collatéraux n’existaient pas. Et comme si, également, il n’y avait pas beaucoup de risque …