Politique Internationale — Qu’est-ce qui a été le plus risqué pendant les Jeux Paralympiques de Paris 2024 ? De ne pas récolter cette moisson de médailles ?
Marie-Amélie Le Fur — Ces Jeux ont été extraordinaires. Sur le strict plan sportif, l’équipe de France paralympique avait pour objectif d’intégrer le top 8 des nations. Mission accomplie avec 75 médailles, dont 19 en or, dans son escarcelle. Cela faisait vingt ans que la France n’avait pas intégré le top 10. En outre, nous avons performé dans de nombreuses disciplines, 15 différentes, ce qui est une singularité du modèle français et l’un de ses points forts. Ce qui n’empêche pas bien sûr quelques regrets : certains athlètes ont été un peu en deçà des espoirs de résultats ; par ailleurs, les femmes n’ont décroché que 16 % de nos médailles. Pour entrer un jour dans le top 5 — notre but affiché — l’axe de progression est là : les nations qui sont devant nous enregistrent plus de 30 % de médaillées. Nous devons également renforcer notre présence dans les sports porteurs du modèle paralympique, à savoir la natation, l’athlétisme et le tennis de table.
P. I. — Se préparer, s’aligner, performer : comment mettre toutes les chances de son côté pour triompher des obstacles ?
M.-A. L. F. — Les résultats obtenus par les athlètes en 2023 et 2024, lors des championnats du monde, avaient permis de confirmer cette ambition.
La confiance était réelle parce que nous avons disposé de moyens conséquents. Pour l’équipe de France paralympique, la préparation de Paris 2024 s’est appuyée sur un budget d’État multiplié par quatre. Les pouvoirs publics, aussi bien que les acteurs privés, ont participé à cet effort. Qu’il s’agisse de l’encadrement, de la mise à disposition des infrastructures, des conditions d’entraînement ou encore de l’accompagnement au quotidien des sportifs, un palier significatif a été franchi dans la professionnalisation du modèle. Nous avions besoin de cet engagement : la précarité des athlètes de haut niveau est un vrai sujet ; leur donner un ancrage socio- professionnel est toujours une mission prioritaire.
P. I. — Les méthodes de travail, dans le domaine du sport, sont-elles renouvelées pour laisser le moins de place possible au hasard ?
M.-A. L. F. — Divers éléments ont fait de ces Jeux des Jeux singuliers pour l’équipe de France paralympique. Tout d’abord, notre ambition était d’avoir une équipe densifiée, présente dans les 22 sports du programme paralympique. Cela a nécessité un engagement fort du CPSF, des fédérations paralympiques, pour détecter de nouveaux talents et les rendre compétitifs dès 2024. Nous souhaitions également renforcer la compétitivité globale de la délégation et optimiser l’avantage que représentent des Jeux qui se tiennent à la maison. Nous avons, pour ce faire, exploré de nouvelles méthodes de travail. En peu de mots, il s’est agi de rapprocher au maximum l’ensemble des acteurs et de travailler en commun. Une ambition forte a également été portée sur le rayonnement de l’équipe de France, sa médiatisation. En initiant « l’équipe de France unie » et en sensibilisant les médias aux spécificités du parasport, nous souhaitions que celui-ci entre dans le cœur des Français, que ces derniers soient embarqués par les émotions.
P. I. — L’engouement constaté lors des Paralympiques était-il prévisible ? Aviez-vous des craintes à ce sujet ?
M.-A. L. F. — C’était clairement l’objectif que d’impulser un tel élan. La ferveur observée est le résultat de plusieurs facteurs. La majesté des sites dédiés aux compétitions en est évidemment un. La capacité à accueillir du public en est un autre, avec des formules tarifaires accessibles. Sans oublier non plus le désir des collectivités dans leur ensemble de valoriser les athlètes paralympiques. Enfin, même si la liste n’est pas exhaustive, la couverture médiatique a honoré ses promesses, dans le sillage de France Télévisions. La qualité des images est une chose, l’impact des mots en est une autre. Les commentateurs — télé, radio, presse écrite… — ont fait passer les bons messages : je veux dire par là que les Paralympiques ont été traités d’abord et avant tout sous un angle sportif, sans pathos, sans raccourcis, sans l’idée de narrer forcément des histoires, mais bien de se concentrer sur la performance, avec le vocabulaire adéquat. Bref, pendant les Jeux Paralympiques de Paris 2024, nous avons parlé d’abord et avant tout de sport !
P. I. — Comment capitaliser sur ce passé proche pour faire progresser la cause du parasport ? L’élan ne risque-t-il pas de retomber ?
M.-A. L. F. — L’objectif est de faire perdurer notre ambition : à savoir considérer le parasport comme un vecteur important d’inclusion, d’émancipation et de santé, et maintenir l’engagement transversal des acteurs (économiques, sportifs, associatifs, collectivités, de santé, etc.). Le sport doit devenir un élément majeur du parcours de vie des personnes en situation de handicap. Cela requiert un gros travail de terrain : parmi les initiatives les plus emblématiques, il y a le renforcement des « clubs inclusifs », déployés par le CPSF avec le concours financier du ministère des Sports et des Collectivités. Les clubs y reçoivent une sensibilisation favorisant l’accueil et l’encadrement des parasportifs. À titre indicatif, fin 2024, 1 700 clubs supplémentaires seront ainsi labellisés sur tout le territoire. Et le chiffre de 3 000 est attendu pour la fin de la saison prochaine. Clairement, Paris 2024 joue un rôle de levier dans le cadre de cette démarche : au fur et à mesure, nous allons réussir à mailler le territoire. Rappelons que nous partons de loin : à l’heure actuelle, moins de 2 % des infrastructures sportives sont en mesure d’offrir des conditions d’accessibilité satisfaisantes aux personnes handicapées. Avec en toile de fond la saturation d’un grand nombre d’équipements, dont les créneaux d’utilisation ne sont pas extensibles à l’infini.
P. I. — Avez-vous le sentiment que le parasport a gagné sa place dans notre société ?
M.-A. L. F. — Rien n’est jamais gagné, encore plus aujourd’hui où les coupes budgétaires sont une menace pour un grand nombre d’activités. Le sport doit lutter pour ne pas être relégué au second plan. Une dimension intéressante, poussée par Paris 2024, réside dans la chute progressive des cloisons. La segmentation tend à s’amenuiser : les politiques publiques sont pensées en transversalité, des réseaux se constituent, des courroies de transmission sont activées. Les enjeux du parasport sont mieux appréhendés par les acteurs et des réponses adaptées se déploient sur l’ensemble du territoire. Je prends le seul cas des entreprises partenaires d’athlètes de haut niveau : elles apportent le même soin aux intéressés, qu’ils participent aux JO ou aux Jeux Paralympiques.
P. I. — Se met-on en risque quand on pratique le sport à haut niveau ? Et encore plus si l’on est une personne handicapée ?
M.-A. L. F. — Le sport de haut niveau est une mécanique de haute précision qui nécessite d’optimiser chaque détail de sa préparation. Dans cette quête, tout sportif de haut niveau, s’il n’est pas bien encadré, peut mettre en danger son intégrité. Au-delà des enjeux physiques, le côté psychologique, le bien-être mental en général, sont des domaines tout aussi cruciaux. Les phénomènes de burn-out constatés dans le cadre d’une pratique d’élite ne sont pas des exceptions. En tant qu’institution, notre rôle est d’accompagner le respect de cette intégrité en développant des programmes adaptés, des dispositifs tenant compte de la singularité du parasport et des parasportifs. Que ce soit pour le dopage, la santé mentale ou bien encore la lutte contre les comportements sexistes ou les agressions sexuelles, nous nous devons d’agir. Cette année, pour la première fois dans l’histoire des Paralympiques, une personne dédiée aux problématiques de santé mentale et de bien-être a pu accompagner l’équipe de France pendant toute la durée de la compétition. En aucun cas il ne s’agit d’un luxe : au cours de ces périodes où la pression sur les sportifs et leur encadrement est maximale, disposer des outils ou des dispositifs qui permettent d’alléger cette exigence est une nécessité. Est-ce la garantie de se prémunir contre la moindre défaillance ? Non. Tous les athlètes ne sont pas à l’aise de la même façon avec cette approche psychologique. La montée en compétences est intéressante : au cours de ma carrière (1), autant le suivi médical était déjà au point, autant l’accompagnement mental était quasi inexistant, tout comme la prévention des violences.
P. I. — Y a-t-il un pays en particulier dont la politique en matière de parasport se révèle particulièrement inspirante ?
M.-A. L. F. — Cela dépend de quoi on parle. De l’accès au sport pour le plus grand nombre ou de la pratique d’élite ? Dans le premier cas, les pays nordiques indiquent la marche à suivre ; la question de l’inclusion ne s’y pose pas vraiment car les personnes handicapées sont pleinement intégrées dans la vie de la cité, avec une prise en compte immédiate des besoins et des équipements pensés en accessibilité. Concernant le haut niveau, les Anglais ont fait leurs preuves : dans de nombreuses disciplines, leur délégation est toujours très performante ; ils ont cette culture de la compétition, de la victoire, et savent mettre en œuvre les ingrédients requis. D’une manière générale, un pays sera d’autant plus inspirant s’il réussit à faire tomber les barrières. Je ne parle pas seulement de sport : dans une ville, en matière de mobilité, d’usages, de réflexes quotidiens, tout le monde doit être logé à la même enseigne pour vivre avec le moins possible de difficultés.
P. I. — Que signifie la possibilité de pratiquer une activité sportive pour une personne handicapée ?
M.-A. L. F. — Le sport ouvre le champ des possibles : compréhension de soi et ouverture vers les autres. Pour de nombreuses personnes handicapées, ce sont de nouveaux horizons, des possibilités de rencontres, le renforcement du lien social. L’enjeu est d’agir conjointement sur l’offre et sur la demande. Il s’agit d’ancrer la pratique sportive dans le parcours de vie de ces personnes, via le relais d’acteurs clés — médecins, enseignants, Maison départementale des personnes handicapées (MDPH)... — tout en développant une offre sportive le plus variée possible à proximité de leur lieu de résidence. Pour cela, l’offre doit se renforcer, être plus visible et plus lisible pour les pratiquants.
P. I. — Ce champ des possibles dont vous parlez, l’avez-vous personnellement expérimenté ?
M.-A. L. F. — Le sport a été pour moi une évidence. Il s’avère qu’un an avant mon accident j’avais assisté à une compétition d’athlétisme au Stade de France, au cours de laquelle j’avais été impressionnée par ces sprinters lame(s) aux pieds. J’avais cette conviction que le sport pouvait me faire du bien. Dans mon cas, l’entourage a également été primordial. La famille bien sûr, mais aussi les sapeurs-pompiers, que j’aurais aimé rejoindre : ils m’ont tous encouragée à reprendre le sport puis à pratiquer à haut niveau. Sans oublier les partenaires : une pratique d’élite représente un investissement financier ; dans mon cas, j’ai dû financer une lame de course et j’ai été aidée pour cela.
P. I. — Verra-t-on un jour des Jeux Olympiques et des Jeux Paralympiques organisés conjointement et non successivement ?
M.-A. L. F. — La question est posée régulièrement. Une organisation conjointe est difficile ne serait-ce qu’en termes de gestion des infrastructures. De part et d’autre, les épreuves sont tellement nombreuses que cette inflation serait difficile à agencer. En revanche, dans le cadre d’un championnat du monde ou d’un championnat d’Europe dédié à une seule discipline, la mutualisation des approches est une bonne chose. D’ailleurs, elle a déjà été orchestrée, mais on peut encore la renforcer. Pour les Jeux, dans la perspective de ce qu’a réalisé Paris 2024, les perspectives sont de fédérer ces deux univers par des symboles et des temps forts tout en conservant leur diversité.
(1) Marie-Amélie Le Fur été médaillée à la fois aux Jeux Paralympiques de Pékin en 2008, de Londres en 2012 et de Rio en 2016.