Politique Internationale — Il y a quelques années, vous avez publié L’Archipel français (Seuil), un ouvrage dont le titre laisse augurer un pays éclaté. Qu’est-ce qui a guidé ce travail ?
Jérôme Fourquet — Cet ouvrage est le fruit d’un travail au long cours, le résultat de vingt-cinq ans d’enquêtes d’opinion et d’études sociologiques. J’ai publié de nombreux articles, mais un livre permet de donner plus de cohérence à une vision d’ensemble, de réfléchir avec davantage de profondeur et de tracer des perspectives. En l’occurrence, le paysage brossé à ce moment-là témoigne d’une société fragmentée, au sens où les principaux repères collectifs ancrés jusque-là se sont disloqués. Au début des années 1960, pour utiliser une formule imagée, la France ressemblait beaucoup à la confrontation entre Don Camillo et Peppone : quelque 35 % des personnes allaient à la messe le dimanche, et près de 25 % votaient pour le Parti communiste aux élections. Aujourd’hui, à titre de comparaison, à peine 3 % vont à l’église, et Fabien Roussel, le candidat du PC, a enregistré un score de 2,5 % au dernier scrutin présidentiel. Bref, alors que 60 % des individus étaient spontanément arrimés à l’un de ces deux blocs, deux générations plus tard, il n’en reste presque plus rien.
Un autre facteur d’archipélisation réside dans le poids des grands médias de masse : en 1990, une chaîne de télévision comme TF1 drainait 45 % de parts de marché ; elle en affiche désormais 18 %. Certes, elle continue de compter dans le paysage audiovisuel, mais de manière nettement plus limitée. L’audience de la presse écrite est encore plus explicite : il y a quarante ans, quand un groupe d’intellectuels signait une tribune à la Une du Nouvel Observateur, cela faisait l’événement ; ce n’est plus le cas aujourd’hui, loin de là. Et ce cas n’est pas une exception : d’autres magazines qui avaient alors pignon sur rue comme Le Point ou L’Express ont vu leur portée s’affadir.
Je ne vais pas dresser la liste de tous les éléments qui ont contribué à l’« archipélisation » de la France, mais certains frappent plus que d’autres, en particulier le phénomène migratoire. En 1960, les enfants recevant un prénom arabo-musulman ne dépassaient pas 1 % des naissances ; le chiffre est passé à 21 % en 2024.
P. I. — Quelles sont les principales explications à cette archipélisation ?Est-elle mue par des éléments ou des événements précis ?
J. F. — Certes, les évolutions politiques, économiques et sociales ont exercé un impact, on y reviendra. Mais cela n’explique pas tout : au cours des dernières décennies, on a assisté à une autonomisation de l’individu, avec une volonté de s’émanciper des cadres traditionnels. Des cadres alors nombreux — l’appartenance religieuse, le ralliement à une force politique, le mariage, la fondation d’une famille, la lecture d’un journal… — qui permettaient de ranger les personnes dans des cases précises. À titre indicatif, 25 % des familles sont aujourd’hui mono-parentales : on est aux antipodes des habitudes …
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