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L’Hermione, un mythe franco-américain

Sabine Renault-Sablonière — L’Hermione est un navire dont le nom est associé à jamais à celui de La Fayette. Quelle est l’histoire de ce bâtiment ?

Benedict Donnelly — L’Hermione est une frégate de la Marine royale française de la fin du XVIIIe siècle. Elle est construite en 1780 avec trois autres frégates dans l’arsenal royal de Rochefort au moment même où la France, ayant pris fait et cause pour l’indépendance américaine, est en guerre avec l’Angleterre.

C’est, précisément, un navire de guerre de 26 canons, rapide et maniable, un voilier très performant long de 60 mètres, un trois- mâts capable de porter 17 voiles d’une surface totale de plus de 2 000 mètres carrés.

Une frégate comme l’Hermione représente alors   la pointe du progrès dans la marine à voile, tant en matière de gréement qu’en dessin de coque ; un bon marcheur qui pouvait atteindre 12 nœuds, une vitesse remarquable pour l’époque.

L’Hermione commence à naviguer en mai 1779 sous le commandement de Louis-René-Madeleine de La Touche, comte de Tréville, dit « Latouche-Tréville ». Elle est d’abord utilisée pour mener des campagnes de chasse aux navires corsaires et aux navires de commerce.

C’est en mars 1780 qu’elle va entrer dans la légende en embarquant à son bord un passager illustre, le marquis de La Fayette, pour une traversée de l’Atlantique accomplie en 38 jours. La Fayette restera à bord jusqu’à Boston où il débarquera pour rejoindre George Washington dans son quartier général de Morristown dans le New Jersey. Cette fois, ce n’est plus le jeune officier aristocrate, engagé volontaire au service de l’indépendance américaine, bravant les interdits du pouvoir, mais l’envoyé officiel du roi de France qui vient annoncer au commandant en chef de l’armée américaine l’engagement officiel de son pays aux côtés des Américains et l’arrivée prochaine du corps expéditionnaire commandé par Rochambeau.

Par sa participation aux combats navals décisifs pour l’indépendance des États-Unis, notamment la bataille de la Chesapeake, déterminante pour la défaite anglaise de Yorktown, l’Hermione a acquis le droit de symboliser pour l’Histoire l’engagement de la France en faveur de l’indépendance des États- Unis, socle de l’amitié franco-américaine.

S. R.-S. — La reconstruction à l’identique de l’Hermione, que vous avez pilotée, a fait revivre un site d’exception, celui de l’ancien arsenal royal de Rochefort, dont la Corderie royale constitue le joyau. Elle avait aussi pour objectif de vivifier l’amitié entre la France et les États-Unis. De ce côté-ci de l’Atlantique, comment vous y êtes-vous pris ?

B. D. — Le choix du nom de l’association créée pour reconstruire l’Hermione a été un acte fondateur. Nous avons, en effet, choisi d’associer le nom du navire, l’Hermione, à celui de La Fayette en affichant ainsi très clairement notre identité franco-américaine. Incidemment, le choix d’un président franco-américain — moi, en l’occurrence — a renforcé cet affichage : mon père est américain et, après avoir débarqué, âgé de 20 ans, en juin 1944 en Normandie dans l’armée du général Bradley où il était officier de liaison avec l’armée  française, il a rencontré ma mère dans les bals de la Libération et l’a épousée à Washington avant de s’installer quelques années plus tard à Paris.

Le succès populaire du chantier de l’Hermione — plus de 4 millions de visiteurs — et sa durée (17 ans) ont permis à l’association de sensibiliser l’opinion publique française à la contribution décisive de la France à l’indépendance des États-Unis d’Amérique, symbolisée par l’implication personnelle de La Fayette grâce auquel « un nom français fut écrit sur l’acte de naissance d’une nation transatlantique », selon la belle expression de Lamartine.

La sensibilisation, dans l’Hexagone, de l’ensemble des réseaux franco-américains — culturels, économiques, diplomatiques au défi relevé par l’Hermione a contribué aussi à une identification claire de notre aventure.

S. R.-S. — De l’autre côté de l’Atlantique, comment avez-vous motivé les Américains pour qu’ils s’impliquent dans la reconstitution du navire ?

B. D. — Nous nous y sommes pris très tôt ! Dès 1999, en tout début de chantier, nous sommes allés rencontrer des acteurs politiques, économiques et associatifs américains à Boston, New York, Washington pour leur présenter l’aventure de l’Hermione et notre projet de traversée de l’Atlantique sur les traces de La Fayette. Nous avons reçu un accueil chaleureux mais… prudent ! Car nous étions bien incapables à l’époque de leur indiquer la durée du chantier et, a fortiori, de leur communiquer les dates précises des escales projetées dans les différents ports où l’Hermione s’était rendue en 1780 et 1781.

Cela dit, nous avions clairement pris conscience, lors de ces différents contacts, du défi qui nous attendait pour populariser le voyage de l’Hermione auprès du grand public américain. Nos interlocuteurs avaient mis l’accent sur la forte notoriété de La Fayette aux États-Unis : plus de 140 villes, comtés et places portent son nom ; son portrait est accroché au Congrès à Washington ; et sa statue trône en face de la Maison-Blanche à La Fayette Square… Mais, en même temps, ils insistaient à juste titre sur la méconnaissance, fortement partagée, de sa personnalité et de son rôle, ainsi que de celui de la France, dans la guerre d’indépendance américaine.

Si nous voulions que le voyage de l’Hermione ait un sens pour les Américains, il nous fallait, très en amont, mener une action forte d’information au plus près de la population dans les futures villes escales.

Nous avons, dans ce but, suscité la création aux États-Unis d’une association « Friends of Hermione in America », présidée d’abord par l’ancien ambassadeur des États-Unis en France Howard Leach, puis par un entrepreneur passionné d’histoire et de patrimoine, Miles Young. Nous les avons aidés à mobiliser des fonds d’entreprises françaises et américaines pour leur permettre de concevoir et de mettre en œuvre un ambitieux programme festif, éducatif et culturel à l’occasion du voyage de l’Hermione.

Et nous avons travaillé avec eux, la main dans la main, pour caler le programme des escales. Une délégation de notre association, conduite par Jean-François Fountaine, notre vice-président — futur maire de La Rochelle — et Yann Cariou, le futur commandant de l’Hermione, a effectué une tournée de repérage technique des différents ports candidats pour s’assurer de la faisabilité de l’escale. L’association américaine a pris le relais et créé dans chaque port un comité d’accueil qui a conçu et préparé le programme des manifestations en lien avec les communautés locales.

S. R.-S. — Comment la frégate a-t-elle été accueillie aux États-Unis en 2015 ? Pouvez-vous nous décrire les grandes étapes de ce périple et nous livrer quelques anecdotes ?

B. D. — L’arrivée de l’Hermione sur les côtes américaines le 5 juin 2015, après une traversée d’un mois depuis les Canaries, a donné le ton du voyage : un accueil au large par un navire de l’US Navy et, sur les quais de Yorktown, une émotion palpable et une vraie ferveur, stimulées par l’enthousiasme communicatif des jeunes marins dispersés dans la mâture qui entonnaient a cappella des chants de marins dûment répétés durant la traversée. Sans oublier un comité d’accueil prestigieux conduit par le gouverneur de Virginie accompagné de la ministre française de l’Écologie et de l’ambassadeur de France aux États-Unis.

Autre moment symbolique du début de voyage : la remontée du Potomac le 9 juin et le mouillage de l’Hermione devant la résidence de George Washington à Mount Vernon. Yann Cariou, son second, et plusieurs marins en grande tenue du XVIIIe siècle ont débarqué en fin d’après-midi avec le petit canot du bord pour se recueillir devant la tombe de George Washington.

Puis, après un arrêt à Alexandria, cap sur le port de Washington, descente du Potomac et escale mémorable à Annapolis. Une escale avec prise de risque maximum pour accoster à quai avec à peine 10 centimètres d’eau sous la quille. Des sueurs froides pour les responsables du navire ! Mais l’Hermione ne pouvait faire faux bond à Annapolis, la ville qui abrite le siège de l’École navale des États- Unis et le tombeau de John Paul Jones, héros de l’indépendance américaine. C’est là aussi que Washington et La Fayette avaient établi leur campement avant de partir vers l’entrée de la Chesapeake en direction de Yorktown. Magnifique escale marquée par une grande parade dans toute la ville sous un soleil de plomb et une température de 40 degrés.

S. R.-S. — Après cette plongée dans l’Histoire, l’Hermione est partie à la rencontre de l’Amérique d’aujourd’hui…

B. D. — À Baltimore d’abord, au cœur d’une agglomération de près de 3 millions d’habitants, où la population noire est très majoritaire. Premier test grandeur nature de l’impact du voyage de l’Hermione sur le grand public américain et… pari gagné ! Beau succès populaire — plusieurs milliers de visiteurs par jour — au pied des gratte-ciel, avec une forte présence des élèves des écoles de Baltimore.

Pari gagné aussi à Philadelphie, comme je l’ai raconté à l’issue du voyage, dans la préface du livre de Francis Latreille et Yves Gaubert, paru fin 2015 chez Gallimard : « Philadelphie, jeudi 25 juin vers 16 heures : depuis midi, sur les bords de la rivière Delaware, c’est la fête, une fête à l’américaine barbecue, bières et musique — sous un soleil de plomb. “Phillie”, la grande métropole de Pennsylvanie, la capitale provisoire des États-Unis pendant la guerre d’indépendance, la ville de Benjamin Franklin où fut signée la déclaration d’indépendance et votée la Constitution américaine, accueille pour la première fois la parade des Tall Ships, les grands voiliers américains dont l’Hermione est l’invitée d’honneur. Hip, hip, hip, hourrah ! Tout d’un coup, la voilà qui se profile à l’horizon, saluée par des dizaines de milliers de personnes massées de chaque côté de la rivière, saluée par les coups de canon du croiseur New Jersey, navire musée de la marine américaine. Les canons de l’Hermione tonnent à leur tour, et nous, Français, anonymes dans la foule américaine, nous nous embrassons entre rire et larmes. »

Rendez-vous, ô combien symbolique également, le 4 juillet, fête de l’indépendance, à New York avec la statue de la Liberté au terme d’une grande parade de navires depuis le pont de Verrazano jusqu’à l’Hudson, en présence d’officiels américains et du ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian. Les dernières escales seront tout aussi festives, chaleureuses et émouvantes.

À Newport, là où avaient débarqué les troupes du corps expéditionnaire français de Rochambeau, l’Hermione est accueillie au son du canon par des Américains en costumes du XVIIIe siècle. À Boston, où l’Hermione d’aujourd’hui arrive au matin du 11 juillet, 235 ans après que La Fayette y a touché terre avec l’Hermione d’origine.

À Castine, enfin, l’ancienne capitale de l’Acadie, au bord de la rivière Penobscot, peuplée par les Français aux XVIe et XVIIe siècles, et dont la population a été déportée par les Anglais entre 1755 et 1763. En 1780, l’Hermione a mouillé dans la rivière. Castine a réservé au navire et à son équipage un accueil particulièrement chaleureux : grande parade d’enfants qui défilent avec une réplique de l’Hermione en papier mâché, présence de représentants des tribus indiennes...

Seize escales au total durant quatre mois, et autant de rencontres avec l’Histoire et de moments d’émotion et de bonheur partagés entre Français et Américains autour d’un formidable ambassadeur, l’Hermione, et de son plus illustre passager : La Fayette !