Loués soient les États-Unis pour le merveilleux présent que constitue la protection constitutionnelle de la liberté d'expression. Ce principe fondamental est si précieux qu'il doit être préservé à tout prix, même s'il faut, pour cela, tolérer l'expression d'opinions malveillantes et anti-démocratiques. Mais quid du négationnisme, qui est non seulement la négation de faits historiques, mais également une incitation manifeste à la violence et à de nouveaux génocides ?
Treize pays européens disposent de lois contre le négationnisme. Certains de ces pays ont criminalisé le message nazi, y compris la négation de la Shoah : l'Autriche, la Belgique, la République tchèque, la France, l'Allemagne, le Liechtenstein, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, l'Espagne et la Suisse. La négation de l'Holocauste est également illégale en Israël. De plus, les lois qui répriment les messages néo-nazis interdisent également les discours racistes ou haineux. Certaines interdisent la négation d'autres génocides (1) et, en particulier, celui des Arméniens (2).Toutes couvrent la Shoah, même si elles n'englobent pas systématiquement la négation de génocides perpétrés avant la Seconde Guerre mondiale comme le génocide arménien. Mais ces textes de loi pourraient voir leur portée s'étendre, l'idée même de légiférer contre le négationnisme étant un sujet tout à fait légitime en Europe.
Cette approche ne peut que choquer les Américains : l'adoption d'une législation contre le négationnisme, y compris concernant la Shoah, constituerait une intolérable atteinte à la liberté d'expression ! Difficile d'imaginer pire sacrilège pour un esprit américain.
Le premier amendement de la Constitution américaine protège la liberté d'expression, de la presse et d'association. Ces garanties empêchent même d'interdire le message nazi. Les partis néo-nazis sont tout à fait légaux aux États-Unis (de même que tout au long de la guerre froide, malgré les nombreuses procédures intentées à ses membres, le Parti communiste américain était autorisé et n'a jamais été interdit), et leurs discours antisémites et racistes sont protégés par la Constitution. La Cour suprême n'a posé qu'une seule limite à la liberté d'expression : les appels à la violence immédiate. Cette précision n'est pas neutre, car des appels à la violence ont été autorisés par les tribunaux, dans la mesure où ils n'entraînaient pas d'actes violents imminents.
Nonobstant la contribution inestimable des États-Unis à la liberté d'expression, tout être doué de raison admet que celle-ci doit bien connaître quelques limites, dans les cas où elle devient manifestement toxique et peut mener à la mort de personnes bien réelles.
Il y a quelques années, j'aurais répondu à Roger Smith, partisan d'une liberté d'expression pratiquement dénuée de limites, par une argumentation intransigeante sur la nécessité de lois réprimant le négationnisme comme il en existe dans plusieurs pays européens, et j'aurais naïvement attendu le jour où cette réalité évidente se serait imposée aux États-Unis. Plusieurs de mes publications passées sur le négationnisme se concluent de fait sur l'espoir qu'il est possible de faire quelque chose contre la calomnie des négationnistes, en adoptant des lois punissant ces mauvais Galilées qui réfutent que la terre tourne autour d'Auschwitz.
Un des moments les plus kitsch de ma vie fut mon témoignage (que je ne regrette absolument pas) devant un tribunal à Paris, comme expert à charge contre le professeur Bernard Lewis, quand je me suis écrié en anglais (mon propos étant traduit par un interprète, mon témoignage kitsch fut donc entendu en double) : « Étant moi-même à la fois juif et professeur, le professeur Bernard Lewis me fait profondément honte ». Je comprends aujourd'hui, et j'approuve, que du point de vue de la loi américaine, nous ne pouvons et ne devons pas poursuivre Bernard Lewis, même si je persiste à me réjouir de l'existence de lois européennes qui lui demandent de répondre de son négationnisme. J'approuve également le fait qu'en Amérique nous ne puissions l'attaquer pour avoir donné au Princeton Alumni Weekly des informations délibérément fausses sur un procès à l'issue duquel il a été reconnu coupable et condamné à une amende. Je pense néanmoins qu'il devrait être possible de poursuivre Louis Farrakhan - qui harangue la foule à Madison Square Garden, se félicitant que les nazis aient fait cuire les Juifs dans des fours crématoires et appelant à poursuivre leur travail - plutôt que de le laisser professer ses diatribes comme bon lui semble parce qu'il est une « personnalité religieuse ».
Nous sommes donc, en Occident, dans une situation quelque peu étrange. Les Américains ne supportent pas la moindre discussion sur d'éventuelles restrictions de la liberté d'expression (comme l'adoption de lois sur le négationnisme), alors que plusieurs démocraties d'Europe de l'Ouest, et non des moindres, ont gravé dans le marbre de leur loi l'interdiction de nier les génocides. Difficile d'imaginer comment un tel fossé culturel pourrait être comblé ; il est en tout cas peu probable qu'il le soit dans un futur proche. Cette divergence de fond représente une contradiction flagrante entre ces deux cultures, qui ont en commun un désir sincère de promouvoir la bienséance.
Mais même aujourd'hui, sur la scène américaine, il est évident que dans certaines situations la liberté de parole peut provoquer ou catalyser des actions violentes ou des destructions. Son usage doit donc être encadré et sanctionné par la loi.
J'ai le privilège d'être une sorte d'hybride américano-européen. D'origine et d'éducation américaines, je me réjouis d'être perçu comme américain, mais je suis également un européen : j'ai élu domicile depuis trente ans en Israël et je suis très heureux de m'identifier également à ce pays.
J'apprécie à sa juste valeur l'éclat civilisationnel de la contribution américaine à la protection de la liberté d'expression. Mais je suis en même temps tiraillé : une partie de moi regrette de ne pouvoir bannir les innombrables absurdités auxquelles je suis sans cesse exposé, que ce soit dans ma vie professionnelle ou personnelle. J'admets même rêver que les déconstructionnistes et les postmodernistes soient déclarés hors la loi, avec les révisionnistes et les théoriciens du complot, sans parler des négationnistes. Le 11 Septembre est l'oeuvre des États-Unis et d'Israël ! J'ai trouvé un point d'équilibre en m'attachant à respecter les droits des très nombreuses personnes avec lesquelles je suis en désaccord et que je ne peux supporter, et je sais qu'elles disposent de droits inaliénables à exprimer leur point de vue sur les forums de nos vies. Cela ne m'empêche pas de ressentir avec force la tragédie et le supplice du 11 Septembre, les attentats de Londres et les attaques contre les mosquées et les églises en Irak, ou encore les horreurs indicibles de la Shoah et des autres génocides. Je vis en plus, ces dernières années, avec l'inquiétude que nous ressentons en Israël, cette peur objective que provoquent ceux qui menacent à nouveau de nous détruire. Je sais qu'il faut absolument surveiller les mouvements de violence qui peuvent à terme aboutir au génocide, et qu'il faut y répondre fermement.
À ce propos, je sais, par mon activité de psychothérapeute, que la violence doit être absolument bannie de la sphère familiale, même s'il faut la comprendre, laisser libre cours à l'expression des colères qui la sous-tendent et la canaliser. La meilleure technique que je connaisse face aux personnes violentes dans les relations personnelles est de leur dire avec conviction : « Tu sais que faire du mal à autrui n'est pas bien, mais je comprends que tu sois hors de toi, et je vais t'aider de toutes mes forces à surmonter cette colère ». J'ai utilisé cette méthode à de nombreuses reprises avec succès, en tant que thérapeute. Je suis parvenu à faire ranger des couteaux, et même un pistolet, et j'ai mis fin aux violences dans de nombreuses familles. D'une certaine manière, je propose un traitement équivalent pour faire face aux négationnistes : je vais prendre ma respiration et aider ces pourritures à exprimer leurs absurdités, mais je veux au moins des lois, les plus sévères possibles, pour punir les agitateurs, les incendiaires qui appellent directement à la violence - y compris les djihadistes contemporains. Nous savons que ces personnes ouvrent la voie à la perpétration de pogroms et de meurtres de masse tout à fait réels.
Dans le cas du Rwanda, par exemple, il est communément admis que le génocide n'aurait pu avoir lieu sans la propagande diffusée des semaines durant par la radio gouvernementale. Des travaux portant sur plusieurs génocides montrent que la capacité qu'ont les exécutants d'assassiner les membres du groupe ciblé est obtenue par des méthodes très efficaces de déshumanisation des victimes. Je propose donc que nous adoptions des critères précis afin de pouvoir juger à quel point les déclarations négationnistes constituent des appels à la haine ou même des incitations à la violence. Dans ce dernier cas, ces propos seraient réprimés par la loi en Europe, mais aussi aux États-Unis, et tomberaient également sous le coup des lois internationales. D'un point de vue personnel, mes deux moitiés américaine et européenne seraient de cette manière pleinement satisfaites.
Fixer des limites à la liberté d'expression pose problème
Légiférer pour criminaliser certains types de propos est complexe et dangereux. Lorsqu'on autorise le législateur à décider ce qui est légal et ce qui ne l'est pas en matière de liberté d'expression, que les intentions initiales soient bonnes ou non, la porte est ouverte aux radicaux, aux extrémistes et aux fanatiques qui cherchent en permanence à restreindre la liberté d'expression des autres. Si la voie était ouverte aux États-Unis, les conservateurs l'emprunteraient à n'en pas douter pour interdire la présentation positive de concepts comme l'avortement ou l'évolution, y compris dans les manuels scolaires, ou pour donner une base légale au retrait de licence ou à d'autres sanctions visant tous ceux qui s'aventurent à promouvoir ces concepts. Exagération ? Peut-être pour 1984, année que nous avons finalement traversée sans subir ces attaques, mais peut-être pas pour le 2084 auquel nous aurons à faire face si nous nous lançons sur la pente savonneuse que représente la restriction légale de la liberté de parole.
Mais alors, les pays européens qui ont adopté de telles lois contre le négationnisme sont-ils voués à un avenir autoritaire, totalitaire, répressif et fasciste ? Difficile de répondre sérieusement à une telle question, mais elle mérite néanmoins d'être posée.
Comme je l'ai déjà dit, si notre monde était plus sensé, si les sociétés et les peuples faisaient plus appel au bon sens, j'adorerais disposer d'un ensemble de lois pour pénaliser les idées erronées, la manipulation intentionnelle des faits établis, le fondamentalisme anti-scientifique et le reniement de la connaissance empirique. Mais j'ai bien conscience que mes souhaits puérils nous mèneraient tout droit à l'enfer d'un contrôle totalitaire des esprits. Je rejoins donc Roger Smith et une grande partie des Américains : il ne devrait exister aucune loi contre le négationnisme - aussi ridicules et injurieux que soient les pseudo-questionnements et les déclarations sur la réalité du génocide arménien -, contre les propos manipulateurs auxquels nous devons répondre par plus de recherches pour certifier ce qui est « réellement » arrivé aux Arméniens, ou encore contre ces odieux Norman Finkelstein, en guerre contre Israël et cherchant à convaincre que les Juifs mettent à profit la Shoah pour se cramponner aux territoires palestiniens et pour agresser leurs habitants. À regret, je dois me raccrocher à la réalité : je ne peux pas envoyer qui que ce soit en prison pour ces stupidités. Je devrai combattre ces terribles idées par la culture et non devant les tribunaux.
Mais je repose la question : pouvons-nous nous permettre de nous passer de cette législation contre l'incitation décomplexée à la violence et au génocide ? Crier « au feu ! au feu ! » en public, c'est prendre le risque de provoquer une bousculade et finalement des morts. « Tuez les (insérez votre groupe ethnique, national, religieux ou politique ici) » est aussi, dans son genre, un appel à la cohue. Dans le premier cas, l'appel est dangereux s'il est fait à l'intérieur d'un cinéma bondé, car il est acquis que les personnes présentes paniqueront et que la bousculade sera inévitable, et donc les blessés et les morts également. Le deuxième appel est murmuré dans d'autres « théâtres » de la vie, où l'influence du message et de son émetteur, dans un contexte très organisé, peut rendre possible ou déclencher des actes génocidaires tout à fait réels. C'est pourquoi plusieurs pays européens ont mis en place une surveillance et des mesures de contrôle des mosquées, dont certaines ont été le creuset des incitations aux missions destructrices du 11 Septembre, des attentats de Londres et de bien d'autres attaques. Dans au moins un cas, ces mesures ont abouti à l'expulsion hors du Royaume-Uni d'un imam résident de la mosquée berceau du 11 Septembre.
Je propose une approche plus subtile pour ce qui concerne les lois contre le négationnisme, qui pourraient différencier d'une part les négationnismes qui falsifient et manipulent les faits historiques - ces attitudes, au moins aux États-Unis, ne pourront jamais tomber sous le coup de la loi -, et d'autre part ceux qui constituent un encouragement manifeste à perpétrer de nouvelles violences génocidaires. Je suis convaincu que même les Américains devraient réfléchir à criminaliser de telles incitations à la violence.
Le problème, bien entendu, consiste en la définition des termes. Il n'existe évidemment pas de distinction claire et nette entre les propos négationnistes qui appellent à la violence et ce que Deborah Lipstadt appelle les « négationnismes modérés » (3).
De plus, les études psychologiques du négationnisme tendent à montrer que non seulement certains de ces propos justifient, excusent ou minimisent explicitement les violences commises à l'égard des victimes, mais que même des propos qui n'appellent pas directement à l'action contribuent à valider, à encourager et finalement à inciter à de nouvelles violences, que certains destinataires de ces messages finiront par commettre lorsque l'occasion se présentera à eux (4).
Dans des conférences récentes, j'ai souligné que les pays qui font du négationnisme une composante de leur projet national sont par ailleurs et dans le même temps engagés dans des actions violentes d'envergure (5). Par leur attitude à l'égard des génocides passés, ces pays nous donnent des indices sur des risques non négligeables d'actions violentes et génocidaires. Les deux exemples les plus flagrants sont la Turquie et l'Iran.
Ankara a établi comme priorité nationale, voire comme hymne, la négation du génocide des Arméniens - et d'autres victimes comme les Assyriens et les Grecs - et s'est lancée dans le même temps dans un processus génocidaire avéré, par la destruction de milliers de villages kurdes et les meurtres de milliers de Kurdes - génocide qui s'appuie d'ailleurs, selon au moins un rapport récent, sur l'utilisation de gaz toxiques (6). Le pays d'Erdogan s'est en plus distingué récemment en menaçant ouvertement et de manière répétée d'expulser de leurs foyers des centaines de milliers d'Arméniens résidant en Turquie (7).
L'Iran, sous Ahmadinejad et les mollahs suivant la ligne de Khamenei, a fait de la négation de la Shoah une pierre angulaire de sa politique nationale, avec entre autres l'organisation d'une conférence internationale officielle (8) et d'un concours de caricatures (9), qui sont venus s'ajouter aux multiples diatribes négationnistes d'Ahmadinejad dans ses discours internationaux (10) et à ses menaces et promesses répétées de destruction d'Israël (11).
L'Iran est engagé dans des actions violentes à maints points de vue, en particulier via les actions de ses sous-traitants du Hezbollah au Liban et du Hamas à Gaza. Il faut se référer à ce sujet aux publications de Stein, Pelaggi et Barnea sur la puissance de l'incitation au génocide (12). Ces chercheurs soulignent notamment que le négationnisme représente intrinsèquement une incitation aux attaques contre les Juifs et les Israéliens.
Des outils pour analyser les contenus négationnistes, en particulier en matière d'incitation à la violence
Même si les cultures américaine et européenne confirment leurs traditions respectives, je suggère un outil qui pourrait être utilisé de part et d'autre de l'Atlantique pour extraire et identifier les incitations à la violence au sein des discours négationnistes. Même si certains Européens s'estiment satisfaits de la protection qu'ils accordent à la liberté de parole alors même qu'ils répriment les propos négationnistes, le passage du négationnisme à l'incitation à la violence pourrait constituer une base suffisante pour établir une responsabilité juridique valable dans la plupart des systèmes judiciaires existants, y compris dans le cadre des cultures législatives américaine et européenne. Dans tous les cas, même lorsqu'il existe des lois réprimant le négationnisme, l'appareil judiciaire ne pourrait que bénéficier de la mise en place d'outils d'analyse des contenus, qui seraient progressivement ajustés et testés par des équipes de chercheurs et de juristes, en vue d'identifier les déclencheurs plausibles de violences.
Tableau 1 - Évaluation du degré de propos haineux et d'incitation à la violence
Hypothèse de développement d'une échelle de responsabilité pénale pour incitation à la violence par des propos violents et haineux, incluant la négation de la Shoah et du génocide
1 - préjugés | 2 - affirmation de supériorité | 3 - déshumanisation et incitation | 4 - promotion de la violence et du génocide | 5 - passage à l'acte ou encadrement de la violence et génocide | |
Attaque contre un autre groupe national, religieux, ethnique, politique, etc. | Aversion, intolérance, préjugés | Affirmation d'une supériorité raciale envers un autre inférieur | Déshumanisation - désigner l'autre comme sous-homme ou l'exclure de l'espèce humaine | Affectation d'un danger démoniaque à l'autre | Combinaison fatale de la déshumanisation et de l'affectation d'un danger - signal d'avertissement précoce le plus courant* |
Négation des souffrances et des destructions infligées à un groupe - négation de génocides avérés | Ignorance, indifférence, marginalisation, relativisation, normalisation de la destruction | Négation contradictoire de faits et de preuves avérés | Acceptation, approbation, légitimation et célébration de violences et de génocides passés | Approbation, légitimation et célébration de violences et de génocides en cours ou à venir | Incitation à la violence et au génocide |
Type de propos publics, influence et rôles actifs | Propos haineux | Propos approbateurs d'actes violents | Perpétration d'actes violents | Collaboration, facilitation et participation au génocide | Rôles d'encadrement du génocide |
Indice combiné d'incitation au négationnisme, de célébration du génocide et d'encadrement de la violence et du génocide | Fanatisme favorisant la progression de la haine et de la violence | Adoption d'une position supérieure par rapport à un autre inférieur, humiliation et développement de menaces envers l'autre | Incitation à la violence, pouvant mener au génocide | Célébration, déclenchement, facilitation et coopération dans la perpétration de violences et du génocide | Perpétration et encadrement de violences et du génocide |
* Voir Genocide Early Warning System par Israel W. Charny et Chanan Rapaport.
Le tableau 1, « évaluation du degré de propos haineux et d'incitation à la violence », propose un cadre d'évaluation des propos négationnistes. Ce cadre recense un éventail d'intentions et d'incitations liées au comportement, qui sont intrinsèquement déduites des propos haineux et violents, lesquels incluent bien entendu le négationnisme sous toutes ses formes. Les « simples » expressions de préjugés et de propos fanatiques sont identifiées en tant que telles - aversion, intolérance et préjugés à l'égard d'un autre groupe. La négation de faits historiques liés à un génocide - y compris par la distorsion flagrante de la réalité - est désignée pour ce qu'elle est : elle s'étale sur une échelle allant de l'ignorance et de l'indifférence aux faits - ce qui recouvre ce que j'ai appelé ailleurs le « négationnisme innocent » - jusqu'à la manipulation éhontée de preuves historiques solidement établies - à la manière de David Irving par exemple, ou encore des accusations turques lancées contre les Arméniens, soi-disant génocidaires des Turcs - en passant par la relativisation ou la minimisation de la portée et de la signification des destructions infligées. À l'échelon le plus haut, l'incitation directe à la violence n'est cependant pas encore retenue, même si les négationnistes sont déjà bien engagés sur cette voie. Même les revendications de supériorité par rapport à un autre qui serait inférieur rentrent dans la case du fanatisme ainsi que de l'humiliation de l'autre, mais pas nécessairement dans celle de l'incitation à la violence.
Ces catégories d'analyse doivent s'appliquer aux propos des prêcheurs de haine, aux négationnistes et d'une certaine façon, déjà, aux actes violents. Dans la mesure où la culture judiciaire américaine tend à autoriser ce type de fanatisme ainsi que l'approbation et le début d'incitation à la violence, ces attitudes ne pourront pas faire l'objet de lois. Mais dans un système judiciaire où des propos de ce type sont vus comme les fondations du fanatisme et de l'incitation à la violence, ils tombent déjà sous le coup de la loi. Cependant, les peines associées seront moins lourdes que celles appliquées à l'incitation pure et simple, que nous allons maintenant aborder.
Le cadre d'analyse du contenu passe ensuite à des catégories de déshumanisation explicite - la rupture totale d'égalité d'un groupe cible au sein de l'espèce humaine, visant à le reléguer dans les infâmes et bien souvent pathogènes bas-fonds de la sous-humanité -, et donc à un retrait de la protection que toute société humaine accorde normalement aux autres êtres humains.
Au degré suivant, le cadre d'analyse distingue l'affectation de caractéristiques diaboliques et dangereuses à l'autre. Ce type de propos permet de justifier une attitude d'auto-défense : « Ils sont si puissants et si proches de détruire les États-Unis, nous avons le droit de les attaquer de matière préemptive - et cruelle, et totale. »
Ce type d'attributions vient très souvent s'ajouter à la déshumanisation de ces mêmes autres. Ainsi, malgré l'évidente contradiction avec sa prétendue infériorité, cet autre est montré si dangereux qu'il doit être immédiatement et implacablement détruit. Dans le travail que nous avons mené avec Chanan Rapaport pour développer un système de détection précoce des génocides (le Genocide Early Warning System, GEWS (13)), cette combinaison de la déshumanisation et de la diabolisation de l'autre s'est révélée être l'indicateur précoce le plus fréquent et le plus puissant.
Le tableau 1 se termine par un « indice combiné d'incitation au négationnisme, de célébration du génocide et d'encadrement de la violence et du génocide ».
En tout état de cause, chaque système judiciaire fixera lui-même ses lignes rouges pour légiférer et pénaliser les comportements dangereux. Je pense qu'il est extrêmement utile d'avoir recours aux outils des sciences sociales. Je propose également d'analyser le poids ou la portée des incitations à la violence des propos négationnistes (14). Ma proposition d'évaluation de ces propos s'appuie sur une classification en deux volets des motivations psychologiques de ceux qui les tiennent, chacun de ces volets s'étalant sur des échelles distinctes.
Le premier volet est lié au degré de connaissance des faits qu'a le négationniste, et donc au caractère innocent ou malveillant de son attitude. L'échelle s'étend alors du « négationnisme innocent » au « négationnisme malveillant » (voir le tableau 2) (15).
Le deuxième volet s'attache à évaluer le degré d'implication du négationniste dans la célébration des destructions et de sa jubilation à l'idée de nouvelles destructions infligées aux mêmes victimes. Il va donc du « désaveu innocent des violences » à la « célébration des violences » (voir tableau 3) (16).
Chacune des échelles donne des exemples concrets de propos, afin d'évaluer le degré de célébration. Ainsi, pour l'acceptation, la célébration ou l'incitation à la violence, la proposition « je suis contre toute violence » se trouve au premier échelon du désaveu des violences. Une personne qui nie les faits de génocide peut donc tout à fait dire qu'elle ne souhaite pas de violences, que celles-ci soient nouvelles ou répétées. Les propos distanciés rapportant des faits de génocide sans considération morale ou expression de sympathie pour les victimes se situent à mi-chemin. L'apathie ou le manque d'empathie que reflète cette attitude suggère une inclination à s'accommoder de nouvelles violences. « Les [nom du groupe] ont mérité ce qui leur est arrivé » ou « je respecte et j'admire Hitler, Staline ou Mao » se situent évidemment en haut de l'échelle d'approbation des violences.
Tableau 2 - Échelle de progression de la malveillance du négationnisme : le « négationnisme innocent » des faits de génocide
Catégories conceptuelles | Exemples d'expressions |
1. Lacunes dans la connaissance des faits génocidaires | Exemples d'étudiants d'universités israéliennes questionnés sur les génocides arménien, cambodgien ou sri lankais, et qui ne connaissent pas véritablement ces génocides |
2. Reconnaissance limitée ou vague, peut-être après avoir entendu parler d'un événement génocidaire, mais sans connaissance claire | Oui, j'en ai entendu parler. Ça me semble familier, mais je ne sais pas vraiment si c'est vrai ou ce qui s'est passé |
3. Préservation de l'illusion d'un monde de bonté humaine - insistance sur le fait qu'un groupe ou une nation n'est pas capable d'être monstrueux au point de commettre un meurtre de masse systématique | Les Turcs sont un peuple moderne et évolué, qui se démène pour jeter un pont entre l'Islam et l'Occident. Regardez comme ils sont tolérants à l'égard des Juifs ; ils ont sauvé des Juifs de l'Inquisition il y a cinq cents ans et à nouveau pendant la Shoah |
4. Négation au service d'un intérêt personnel, carriériste ou pragmatisme au service d'objectifs personnels | Des négationnistes établis, comme par exemple l'État turc, peuvent être pourvoyeurs de bourses d'études ou d'emplois. Des prises de position révisionnistes ou des provocations négationnistes peuvent procurer au chercheur une image de franc-tireur et lui apporter de l'attention et de la notoriété |
5. Questionnements et doutes explicites sur la réalité du génocide ou sur son étendue | Je sais que de nombreux doutes ont été émis sur la réalité de ce qui s'est passé, y compris par des chercheurs et des professeurs réputés |
6. Négation et doutes spécifiques sur les dimensions essentielles d'un génocide | Les télégrammes présentés comme écrits par Talaat pour tuer les Arméniens ont été remis en question / il a été prouvé que ce sont des faux |
7. « Définitionnalisme » ou insistance pour que les cas de meurtres de masse n'entrent pas dans le champ de qualification du génocide |
Bien sûr, des gens sont morts. C'était une guerre civile/une guerre, et il y a eu des atrocités, mais pas de génocid |
8. Insistance sur l'unicité du génocide de son propre peuple, et dévaluation ou délégitimation du génocide d'un autre peuple |
Seule la Shoah a impliqué un effort de destruction de tous les Juifs, c'est cela, le génocide ; les autres massacres sont des meurtres de masse regrettables, mais il ne s'agit pas de génocide |
9. Reconnaissance du génocide, mais accent au moins aussi fort, sinon plus, mis sur la liberté d'expression ou sur la présentation de points de vue « controversés » ou « différents » de révisionnistes | La démocratie doit autoriser une liberté d'expression illimitée ; le point de vue opposé doit avoir voix au chapitre |
10. Acceptation de la « ligne du parti » d'un groupe ou mouvement raciste ou fanatique, ce qui inclut de prendre pour argent comptant la négation d'un génocide connu | L'Institute for Historical Review de Torrance, en Californie, a publié un article pseudo-scientifique montrant qu'aucun système de fours crématoires n'aurait pu consumer autant de cadavres que ceux attribués aux nazis |
11. Dissimulation et manipulation consciente qui se fait passer pour un négationnisme innocent et ignorant, afin d'infiltrer le débat avec une position négationniste. Par exemple, présenter l'« argumentation opposée » dans un journal d'université | Campagnes de communication financées par les révisionnistes, comme les articles niant la Shoah publiés par Bradley Smith dans des journaux d'universités, ou le célèbre manifeste de 69 chercheurs demandant que des recherches additionnelles soient effectuées sur le discutable génocide arménien |
12. Propagande négationniste explicite par des fanatiques, néo-fascistes et fascistes | La Shoah est le plus grand canular du XXe siècle. Affirmations selon lesquelles le génocide arménien est un tissu de mensonges qui accompagne les actes de violence à l'encontre d'officiels turcs. Il n'y a pas eu de massacre d'étudiants place Tiananmen |
13. Négation éhontée d'un génocide par ses auteurs ou leurs successeurs qui s'identifient à eux, comme par exemple un gouvernement ou un collectif ethnique qui perpétue la tradition des auteurs originaux | Le gouvernement turc nie le génocide arménien, et ne ménage pas ses efforts pour censurer les recherches et débats sur le sujet, non seulement en Turquie, où de nombreuses personnes ont été emprisonnées, mais dans les pays du monde entier |
Tableau 3 - Échelle de progression de la célébration des violences dans le négationnisme : du « désaveu innocent de la violence » aux célébrations des violences
Catégories conceptuelles | Exemples d'expressions |
1. Négation que toute violence ait pu avoir lieu et désaveu explicite de toute violence future | Je suis opposé à la violence. Tous les peuples doivent pouvoir vivre en paix |
2. Une perspective historique est utilisée pour appeler au pardon et à la paix immédiate. L'accent est mis sur le fait que les rancunes historiques sont le fondement de nouvelles destructions | Ces faits ne sont pas nouveaux. La haine ne fera qu'engendrer de nouveaux carnages. Laissez les gens faire la paix. C'était il y a longtemps. On ne pourra pas faire revenir les morts. Il faut pardonner et oublier, pour que le monde vive en paix |
3. Acceptation du caractère inévitable de la violence, affirmation que les faits ne peuvent être modifiés - façon subtile et indirecte d'approuver les violences commises à l'égard de victimes spécifiques | Le fort mange toujours le plus faible. Il y a toujours eu des génocides, et il y en aura toujours. Ce qui est arrivé aux (Juifs/Arméniens/Cambodgiens/Noirs/...) est arrivé. C'est leur place dans l'Histoire. On ne peut pas revenir en arrière pour changer le cours des choses |
4. Une orientation pragmatique et réaliste sert de justification pour continuer à traiter avec les génocidaires et/ou des complices, les exonérant ainsi de leur responsabilité | Il faut être pragmatique. La seule attitude sensée est de passer l'éponge et de continuer à vivre |
5. Descriptions intellectuelles d'une histoire du génocide sans dimension morale ou émotionnelle, et sans dénoncer les violences commises à l'égard des victimes | Tout traitement froid des faits, par exemple les livres d'Histoire qui présentent la Shoah par les seuls faits : des millions de Juifs ont été tués, et les tueries n'ont cessé qu'avec la fin de la guerre |
6. Acceptation implicite du destin violent des victimes, comme s'il s'agissait d'un choix de leur part | Ils se sont crus supérieurs aux autres, ça devait leur arriver |
7. Affirmation explicite du droit de l'État (ou de l'Église, ou du parti, etc.) de traiter ses problèmes internes avec les personnes qui posent problème sans reconnaître l'objectif et les procédés d'extermination de l'autorité | Le gouvernement (Turquie, Allemagne, Russie, Cambodge...) avait le droit de traiter le problème qu'il rencontrait avec ses populations déloyales (Arméniens, Juifs, Tchétchènes, opposants à la révolution) et voulait « simplement » les transférer vers une autre zone, où elles n'auraient plus représenté de menace |
Légiférer ou ne pas légiférer
Suite à la fusillade qui a visé la représentante Gabrielle Giffords en janvier 2011, et qui a coûté la vie à un enfant et à plusieurs adultes, des voix se sont élevées pour réclamer des actions qui permettraient de combler les lacunes persistantes en matière de régulation de la violence aux États-Unis.
Un chroniqueur du prestigieux International Herald Tribune a notamment écrit que « les deux premiers amendements de la Constitution - une clause qui garantit à tous, même aux fous, de pouvoir dire ce qu'ils veulent, et une autre qui semble autoriser ces mêmes fous à posséder une arme à feu » doivent amener le pays à saisir « l'occasion de réfléchir à ce qui survient lorsque les mots sont utilisés comme des armes et les armes à la place des mots » (17).
Le même jour, l'éditorial de ce même journal réclamait des lois pour « mettre en sourdine les voix de l'intolérance, exigeant de mettre un terme aux tentations de carnage et imposant un contrôle raisonné de ses instruments » (18).
De tels appels avaient déjà été lancés après divers « meurtres de masse particulièrement brutaux » aux États-Unis, mais les législateurs et les tribunaux n'en continuent pas moins de se retrancher derrière une ligne intransigeante de défense de la liberté d'expression. Comme si la grande démocratie américaine n'osait pas s'aventurer à introduire plus de raison dans la distinction entre la sainte liberté d'expression et les versions modernes des appels incendiaires à la violence.
Les analyses de contenu et les cadres que je propose sont un défi à la mesure de professionnels de la communication et des sciences sociales, qui pourraient collaborer avec des juristes. Les sciences sociales regorgent d'exemples en la matière, y compris de modèles qui ont été soumis à des tests scientifiques afin de vérifier la fiabilité et la réalité de leurs capacités de prédiction par rapport aux comportements qu'ils prennent en compte.
Parmi les rares Américains qui ne rejettent pas immédiatement l'idée d'une législation sur la liberté d'expression, Gregory Glazov, professeur d'études bibliques à la Seton Hall University, a souligné que « même Dieu ne viole pas notre liberté de choix » et que « même le paradis n'empêche pas les gens de développer de mauvaises pensées et de faire des choix néfastes » (19). Mais il poursuit : « Cependant, les Écritures suggèrent que c'est sur les principes, les lois et les commandements que se fondent la liberté de choix et la prospérité des hommes. »
Nous l'avons déjà évoqué, une très grande majorité d'Américains vomissent et rejettent l'idée même d'une telle législation. Comme le dit Alan Dershowitz, « l'expérience montre qu'il vaut mieux vivre dans une société où les mensonges, y compris le mensonge du négationnisme, ne sont pas pénalisés que dans une société qui emprisonne les personnes sur la base de leurs assertions malveillantes » (20). Deborah Lipstadt, que nous respectons tous pour son courageux combat et sa victoire contre l'antisémite David Irving devant un tribunal britannique, affirme qu'« on ne peut tout simplement pas légiférer sur ce sujet et qu'on ne devrait même pas essayer. Le résultat serait plus problématique que de ne rien faire » (21).
Mais l'usage illimité de la liberté porte en lui des dangers majeurs. Un article récent de la revue Chronicle of Higher Education pose la question de savoir si le négationnisme est protégé par la liberté académique (22). L'article s'ouvre sur une situation hypothétique où un étudiant en littérature, souhaitant écrire un article sur un poème évoquant la Shoah comme Babi Yar d'Evguéni Evtouchenko ou Todesfuge de Paul Ceylan, se voit répondre par son professeur : « Vous ne pourrez écrire cet article qu'en admettant que la Shoah est un mythe. » Cette situation est-elle imaginaire ? J'ai personnellement vécu une expérience similaire, en soumettant un article scientifique à une revue publiée par la faculté de médecine de l'Université de Virginie. Le directeur de la publication, Vamik Volkan, psychanalyste renommé, d'ascendance turque, m'a répondu que mon article ne pourrait pas être pris en compte, car il s'appuyait sur des éléments « notoirement » non établis. Il faisait allusion au génocide arménien.
L'article du Chronicle of Higher Education poursuit en abordant les récentes révélations sur Kaubab Saddique, professeur de littérature et de communication à la Lincoln University, qui aurait déclaré que la Shoah est un « canular », même si pour l'instant il n'a tenu ces propos qu'en dehors de sa salle de classe.
Cary Nelson, président de l'Association américaine des professeurs d'université, affirme que « la négation de la Shoah consiste à promouvoir la falsification comme vérité... Les négationnistes s'opposent à des vérités fondamentales et bien établies. Leur discours est un discours de haine, quelle que soit l'intention de l'émetteur. Il nie l'histoire de personnes bien réelles et efface le destin de leurs proches au prétexte de leur religion ou de leur appartenance ethnique » (23). Il n'en reste pas moins que Nelson, lui aussi, se refuse à légiférer sur le sujet.
En réponse, Naomi Schaefer Riley, auteur d'un livre sur l'impact des universités confessionnelles en Amérique et d'un autre sur les milieux universitaires, note que Saddique a déclaré, lors d'une réunion pro-palestinienne à Washington : « Je dis aux musulmans, mes biens chers frères et soeurs, levons-nous contre l'hydre, contre ce monstre qui s'appelle le sionisme (...). Chacun de nous est dans leur viseur, et nous devons être unis pour battre, détruire et démanteler Israël - si possible par des moyens pacifiques » (24).
Riley nous rappelle également le cas d'Arthur Butz, professeur de génie électrique à la Northwestern University, célèbre depuis 1976 et la publication de son livre Le Canular du vingtième siècle, dans lequel il nie la réalité de la Shoah. Dans une interview accordée ces dernières années à la presse iranienne, il dit à propos d'Ahmadinejad : « Je le félicite d'avoir été le premier chef d'État à s'être exprimé clairement sur ces sujets, et je regrette que l'initiative ne soit pas venue d'un chef d'État occidental » (25).
En guise de conclusion : pénaliser à la fois aux États-Unis et en Europe les négationnismes qui incitent à la violence et au génocide
La probabilité qu'une législation sur le négationnisme voie le jour aux États-Unis est quasi nulle. Or de telles lois sont déjà appliquées dans certains pays européens. Nous devons donc nous résoudre à vivre en bonne entente, avec nos contradictions et nos différences. Et lorsque nous émettons des recommandations pour faire évoluer la situation actuelle dans les deux sphères culturelles, les propositions doivent être différentes pour les États-Unis et pour l'Europe, sous peine de ne pas être pertinentes pour au moins l'une des deux aires.
Il est inconcevable que les États-Unis légifèrent sur la liberté d'exprimer des points de vue négationnistes en rapport avec des faits de génocide. N'importe quel abruti et n'importe quel fanatique qui prétend que la Terre est plate, qu'Auschwitz est une invention et que les Turcs ont aimablement escorté les Arméniens à travers le désert vers une nouvelle vie pourra continuer à débiter ses opinions maladives. La question demeure de savoir si le négationniste qui s'entête à se féliciter des victimes d'un génocide ou qui utilise le négationnisme comme rampe de lancement de nouvelles tueries - que celles-ci visent la même cible ou une nouvelle - doit ou non subir des sanctions judiciaires. Là aussi, la réalité nous montre qu'aux États-Unis les processus judiciaires en rapport avec le premier amendement sont longs et laborieux, et qu'ils aboutissent généralement à autoriser des propos particulièrement incendiaires. Néanmoins, tout le monde s'accorde pour dire qu'au moins en théorie il devrait y avoir des limites, et que celles-ci devraient s'appliquer aux propos susceptibles de déclencher des violences immédiates.
La pénalisation (par exemple par des amendes) des incitations très graves qui ne provoquent pas d'actions violentes immédiates serait cependant conforme à la tradition américaine de protection de la liberté d'expression. Les sanctions plus graves, comme l'emprisonnement, resteraient alors réservées aux déclarations de nature à propulser les gens vers des comportements extrêmes, comme l'appel « au feu ! au feu ! » lancé dans un cinéma bondé.
Le cadre d'analyse des contenus négationnistes est un outil opérationnel à la fois pour les sciences sociales - dans la recherche des motivations prédominantes des négationnistes - et pour les autorités judiciaires, qui évaluent souvent les déclarations pour juger de l'intentionnalité ou de la gravité d'une action illégale.
(1) Bazyler Michael J., « Holocaust Denial Laws and Other Legislation Criminalizing Promotion of Nazism », GPN Genocide Prevention Now, n° 1.
http://www.genocidepreventionnow.org/2010/01/holocaust-denial-laws-and-other_05.html
(2) Lecholtz Jacqueline, « The Laws Banning Holocaust Denial », GPN Genocide Prevention Now, n° 1.
http://www.genocidepreventionnow.org/2010/06/laws-banning-holocaust-denial.html
(3) Glazov Jamie, « Symposium : Criminalizing Holocaust Denial », FrontPageMagazine.com, 27 juillet 2007.
(4) Charny Israel W., « The psychology of denial of known genocides », in Charny Israel W. (Ed.), Genocide : A Critical Bibliographic Review. Volume 2, Mansell Publishing/Facts on File, Londres/New York, 1991, pp. 3-37.
Charny Israel W., « The psychology of denial : A contribution to the psychology of denial of genocide - Denial as a celebration of destructiveness, an attempt to dominate the minds of men, and a "killing" of history », in Genocide and Human Rights : Lessons from the Armenian Experience. A Special Issue of the Journal of Armenian Studies , 1992, IV (1&2), pp. 289-306.
(5) Charny Israel W., « Denials of known genocides predict renewed violence and genocide, celebrate "love of death more than life", and support a culture of denial of knowledge and science (updating the theory of the psychology of denial of genocide 2010) », allocution au colloque international du Bureau français de la cause arménienne « Arménie-Turquie : comment normaliser les relations ? », Paris, 14 avril 2010.
(6) Steinvorth Daniel et Musharbash Yassin, « Turks Hit PKK with Chemical Weapons, Turkey accused of using chemical weapons against PKK », Der Spiegel, 12 août 2010. http://www.spiegel.de/international/world/0,1518,711536,00.html
Voir aussi GPN Genocide Prevention Now, n° 4. http://www.genocidepreventionnow.org/2010/10/turks-hit-pkk-with-chemical-weapons.html
(7) Erdogan a fait cette déclaration sur la BBC : « Turkey threatens to expel 100,000 Armenians », BBC News, 17 mars 2010. http://news.bbc.co.uk/2/hi/8572934.stm
Voir aussi « Shut Up About Armenians or We'll Hurt Them Again », GPN Genocide Prevention Now, n° 3, juin 2010. http://www.genocidepreventionnow.org/2010/06/shut-up-about-armenians-or-we-hurt-them.html
(8) « Ahmadinejad questions "fairy tale" Holocaust, denies being anti-Semite », Haaretz.com, 9 juillet 2010. Voir aussi « Ahmadinejad July 2010 : "Holocaust is a Fairy Tale" », GPN Genocide Prevention Now, n° 4. http://www.genocidepreventionnow.org/2010/10/ahmadinejad-july-2010-holocaust-is.html
(9) Scott Benjamin, « Holocaust Cartoon Contest In Iran : Tehran Newspaper Says Competition A Reaction To Muhammed Cartoons », CBS News, février 2006 http://www.cbsnews.com/stories/2006/02/07/world/main1289317.shtml
Les caricatures du concours sont visibles à cette adresse : http://www.irancartoon.com/120/holocaust/
Voir aussi « The Winning Cartoon in the Iran Holocaust Cartoon Contest », GPN Genocide Prevention Now, n° 4, octobre 2010.
http://beta.genocidepreventionnow.org/Portals/0/docs/newspeak_issue4.html
(10) Stein Yael, Pileggi Tamar et Barnea Burnley Alex, « More "Mein Kampf". A Chronology of Statements of Incitement and Hate Language by Ahmadinejad and other Iranian Leaders », GPN Genocide Prevention, n° 4, octobre 2010. http://www.genocidepreventionnow.org/2010/10/more-kampf-chronology-of-statements-of.html, déclarations faites le 5 octobre 2007 et le 29 avril 2008.
(11) Ibid., déclarations faites le 14 mars 2008, le 23 mai 2009 et le 12 janvier 2010.
(12) Richter Elihu, « Can We Prevent Genocide by Preventing Incitement ? Part 1 », GPN Genocide Prevention Now, n° 3, été 2010. http://www.genocidepreventionnow.org/2010/06/can-we-prevent-genocide-by-preventing.html
Richter Elihu, « Can We Prevent Genocide by Preventing Incitement? Part 2 », GPN Genocide Prevention Now, n° 4, automne 2010. http://www.genocidepreventionnow.org/2010/10/can-we-prevent-genocide-by-preventing.html
(13) Genocide Early Warning System (GEWS), par Israel W. Charny et Chanan Rapaport. Présentation originale 1977 sous forme de brochure par le Szold National Institute for Research in the Behavioral Sciences, Jérusalem, Israël.
Publications majeures ultérieures sous forme de chapitre dans Charny Israel W., How Can We Commit the Unthinkable? Genocide, the Human Cancer, Westview Press, Boulder, 1982. Republié en 1983 au format poche sous le nouveau titre Genocide, the Human Cancer, Hearst Books (William Morrow), New York, et dans diverses autres publications ultérieures.
Des études validant le GEWS - y compris l'observation que la diabolisation ou l'attribution à l'autre d'une menace, simultanément à la déshumanisation du même groupe cible, est un signal d'avertissement précoce à la fois fréquent et particulièrement fiable - ont été menées sur le génocide arménien par Astourian, sur le génocide rwandais par DeChamps et DeChamps, et sur les menaces de génocide en République dominicaine par Paulino.
Astourian Stephan, « The Armenian Genocide : An interpretation », The History Teacher, 23 (2), 1990, pp. 111-160.
DeChamps Elisabeth et DeChamps Phillipe, « Le génocide rwandais deux ans après : le modèle d'Israël W. Charny », Dialogue, n° 190, Bruxelles, avril-mai 1996, pp. 10-32 (en français).
Paulino Edward, « Anti-Haitianism, historical memory, and the potential for genocidal violence in the Dominican Republic », Genocide Studies and Prevention, 1(3), 2006, pp. 265-288.
(14) Charny Israel W., « Innocent denials of known genocides : A further contribution to a psychology of denial of genocide », Human Rights Review, 1(3), 2000, pp. 15-39.
(15) Charny Israel W., « Table 1. Continuum of the Malevolence of Denial of the Facts of a Genocide : "Innocent Denial" of the Facts of a Genocide », Ibid, pp. 21-22.
(16) Charny Israel W., « Table 2. A Continuum of the Malevolence of Denial of the Facts of a Genocide : "Innocent Denial" of the Facts of a Genocide », Ibid., pp. 23-24.
(17) Egan Timothy, « Lethal Consequences : What happens when words are used as weapons and weapons instead of words », janvier 2011.
(18) « Editorial : Death in Arizona : The state should now take the lead in quieting the voices of intolerance and improving controls in guns », International Herald Tribune, janvier 2011.
(19) Gregory Glazer, in Glazov Jamie, « Symposium Criminalizing Holocaust Denial », Front Page Magazine.com, 27 juillet 2007, p. 15.
(20) Dershowitz Alan, ibid., p. 4.
(21) Lipstadt Deborah, ibid., p. 16.
(22) Nelson Cary et Riley Naomi Schaefer, « Does academic freedom protect Holocaust deniers ? : Two views on the question », Chronicle of Higher Education, novembre 2010.
http://chronicle.com/article/Does-Academic-Freedom-Protect/125295/
(23) Nelson Cary, ibid., p. 4.
(24) Riley Naomi Schaefer, ibid., p.6.
(25) Butz Arthur, ibid., p. 7.