En cette année 2015, le monde entier commémore le centième anniversaire du génocide arménien perpétré dans l'Empire ottoman. À cette souffrance s'ajoute, pour les descendants des 1,5 million de victimes, le poids de cent ans de négationnisme. Ce négationnisme et l'impunité qui l'a accompagné ont fourni un terreau fertile à la Shoah pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ce crime contre l'humanité a représenté une abomination tant par ses objectifs que par sa mise en oeuvre, sa dimension et ses conséquences. Bouleversée par l'ampleur de cette tragédie, l'humanité n'a pas eu de mots pour qualifier ce crime atroce. Le peuple arménien l'a appelé « Mets Eghern » (1), une expression qui résume toute l'horreur de l'enfer qu'il avait traversé. C'est ainsi que la tragédie collective et individuelle subie par les Arméniens était désignée. Il a fallu quatre longues décennies avant que ce crime trouve son nom, à l'exemple de ce qui était arrivé aux Arméniens : génocide.
Les organisateurs du génocide se sont trompés dans leurs calculs. Eux qui voulaient anéantir tout un peuple et le priver de sa patrie se sont heurtés à une Arménie ressuscitée et indépendante. Eux qui rêvaient de disperser les Arméniens dans le monde entier se sont trouvés face à un peuple arménien encore plus fort et encore plus uni qui, même sur des terres lointaines, n'a perdu ni son identité ni ses traits caractéristiques. Au contraire, éparpillés d'Est en Ouest, du Nord au Sud, les Arméniens sont devenus des témoins vivants qui, même après des siècles, resteront fidèles à leur mémoire et à leur revendication.
Les propos d'Anatole France, exprimés en 1916, étaient, en effet, prophétiques : « L'Arménie expire. Mais elle renaîtra. Le peu de sang qui lui reste est un sang précieux dont sortira une postérité héroïque. Un peuple qui ne veut pas mourir ne meurt pas. »
Comme pour témoigner de la vérité de ces propos, le peuple arménien est sorti victorieux de toutes les épreuves qu'il a traversées grâce à son courage, à une identité profondément ancrée et aux valeurs universelles qui sont les siennes. Le peuple arménien a pu se reconstruire et vivre une renaissance culturelle, éducative et scientifique en apportant sa contribution à la civilisation mondiale.
Nous n'étions pas seuls ni dans notre douleur ni sur le chemin de notre redressement. De nombreux pays et de nombreuses nations ont donné asile sur leurs terres hospitalières à nos compatriotes rescapés des massacres réguliers perpétrés pendant des années par la Turquie ottomane. En se portant au secours du peuple arménien en cette période tragique de son histoire, ils n'ont pas seulement sauvé la vie de milliers d'Arméniens. Ils ont aussi sauvé la foi qu'a notre peuple en l'homme. La conviction selon laquelle l'homme ne peut pas mourir dans l'homme, qu'un humain ne peut pas se déshumaniser. Y a-t-il une mission plus noble que celle de sauver la foi ? La foi en la nature humaine, la foi non seulement en son propre avenir, mais aussi en celui de l'humanité tout entière, la foi en des centaines de 25 avril qui suivront le 24 avril. Et ce jour en est la preuve.
La mémoire de l'humanité est comme le tamis de l'Histoire qui permet de trier et de garder en nous les noms de tous ceux, individus et peuples, qui sèment sans relâche les graines de la justice au service des valeurs universelles les plus élevées. Aujourd'hui, nous exprimons notre reconnaissance à tous ces peuples et à tous ces individus.
Cette année encore, le 24 avril, les Arméniens accompagnés par les représentants de plusieurs autres peuples amis graviront les hauteurs de Tsitsernakaberd pour se recueillir au Mémorial des victimes du génocide arménien et rendre hommage à la mémoire des victimes innocentes du peuple arménien. Une fois encore, fidèles à cette mémoire, nous nous engagerons à tout faire pour qu'une telle tragédie ne se répète pas : « Plus jamais. »
En tant que nation qui a survécu au premier génocide du XXe siècle, le peuple arménien est porteur d'une grande responsabilité morale pour apporter sa contribution aux efforts internationaux de prévention des crimes contre l'humanité. Nous remercions les nombreux États qui manifestent leur soutien aux différentes initiatives de l'Arménie au service de ce noble objectif.
L'un des buts de cette commémoration est de consolider les valeurs universelles à travers la mémoire et la connaissance. Il faut que les générations futures soient informées sur les crimes contre l'humanité et sur les tragédies du passé. La reconnaissance et la condamnation des génocides sont encore le meilleur moyen d'éviter qu'ils ne se reproduisent. À l'inverse, la non-reconnaissance ou la négation consciente d'un génocide, autrement dit le négationnisme et son corollaire l'impunité ouvrent la voie à la répétition de nouveaux crimes contre l'humanité.
L'entrée en vigueur de la Convention pour la prévention des génocides en 1948 n'a pas empêché, au cours des décennies qui ont suivi, et jusqu'à très récemment encore, de nouveaux génocides d'être perpétrés, de nouveaux crimes contre l'humanité d'être commis. Du Cambodge au Rwanda en passant par le Darfour, cette atroce réalité continue à persister.
Rendant hommage à la mémoire de toutes les victimes innocentes des crimes contre l'humanité, je souhaite exprimer notre soutien et notre solidarité à tous les peuples qui ont connu ces horreurs. Je voudrais aussi redire notre détermination à lutter ensemble, avec la communauté internationale, pour la prévention des crimes contre l'humanité, avec toujours en tête ce même impératif : « Plus jamais. »
Notre combat est un combat civilisationnel. Nous partons du principe que la mission de l'homme sur cette terre n'est pas de commettre des atrocités. Notre combat est un combat contre l'abaissement de la nature humaine. Notre combat est un combat pour la noblesse et la dignité de l'homme.
(1) La Grande Calamité.