Les Grands de ce monde s'expriment dans

Reconnaître un génocide pour en éviter d'autres

Après le premier conflit mondial, beaucoup voulaient croire qu'il n'y aurait plus jamais de guerre. Le génocide arménien, commis en plein conflit, avait été masqué par les batailles. En temps de guerre, le grand public ne savait pas exactement ce qui se passait réellement, et d'autres événements vinrent recouvrir cette extermination. Du point de vue des exécutants, le génocide des Arméniens pourrait être qualifié de « génocide réussi ». Il fut effectivement « couronné de succès », puisque plus d'un million et demi d'Arméniens furent tués, et que de très nombreux autres furent poussés à l'exil. Puis les Turcs parvinrent à étouffer l'affaire. On n'évoquait tout simplement pas le génocide arménien. Pendant une courte période, entre 1918 et 1920, la question fut soulevée et certains dirigeants turcs furent jugés coupables de massacres (le terme génocide n'existait pas à l'époque). Mais les Turcs mirent alors en oeuvre une politique négationniste qui fut, là aussi, un « succès ».
Dans le champ des études sur les génocides, nous estimons que la dernière étape d'un génocide est sa négation. Si le négationnisme triomphe, alors le génocide est « réussi ». Or le génocide des Arméniens n'est même pas reconnu par la majorité des États dans le monde... Mais nous y reviendrons.
Lors d'un discours prononcé en août 1939 avant l'invasion de la Pologne, Hitler n'aborda pas l'extermination des Juifs, mais plutôt celle des dirigeants polonais. La thèse centrale de son allocution était qu'il ne fallait pas avoir peur de la civilisation occidentale. C'est dans ce discours qu'il eut cette interrogation : « Qui parle aujourd'hui de la destruction des Arméniens ? » Cette phrase est authentique. Nous avons la preuve scientifique qu'elle a été prononcée, même si les Turcs le nient. Ils publient des livres et tentent de démontrer qu'il s'agit d'une invention.
La Seconde Guerre mondiale offrit aux nazis une occasion pratique de tuer, d'exterminer les Juifs. Nous l'avons dit, la confusion engendrée par le conflit fournit une couverture propice à la perpétration d'un génocide. Il s'agit d'un point commun évident entre les cas juif et arménien. Il y a débat sur l'intentionnalité de l'extermination des Juifs, sur le fait qu'elle ait été préméditée, mais quoi qu'il en soit la période de guerre était opportune pour perpétrer un génocide. Dans le débat entre intentionnalistes et fonctionnalistes, ces derniers avancent que les nazis souhaitaient seulement, au départ, se débarrasser des Juifs, et que les plans se sont enchaînés. Mais, au final, ils devaient concrètement se débarrasser des Juifs, et ils durent donc les tuer. Ce processus est évidemment à rapprocher du génocide arménien. Nous savons, de plus, que certains officiers de la chaîne de commandement hitlérienne avaient appartenu à l'armée turque, et que quelques-uns avaient été personnellement impliqués dans l'extermination des Arméniens. Ces faits sont avérés.
Il existe aussi des différences entre les deux phénomènes. Le génocide arménien fut perpétré avec des moyens « primitifs » : des armes à feu ou des outils approchants. Le génocide juif fut plus « efficace », avec pour la première fois - et la dernière, espérons-le - l'utilisation de chambres à gaz. Cette distinction est un point important et lourd de sens, car ces chambres étaient des « usines de mort ». Les nazis avaient mis ce projet sur pied parce qu'il était « trop difficile » de tuer tant de personnes par arme à feu. Ces exécutions étaient, en outre, difficiles à supporter pour les exécutants. Dans un discours célèbre, Himmler déclara qu'il avait été choqué en regardant des Juifs se faire abattre. Discutant avec des officiers supérieurs, il avait relevé que, lors des exécutions par balle, le sang éclaboussait les soldats et salissait leurs uniformes. Il affirma qu'ils devaient poursuivre ces actions et surmonter leurs émotions, parce que leur devoir était de sauver l'Allemagne de la tyrannie des Juifs. Il encensa les soldats, mais commença à rechercher des moyens de tuer plus radicaux. La première étape fut d'utiliser des gaz d'échappement, mais ce procédé n'était pas assez efficace. D'autres méthodes encore plus puissantes furent mises au point, et le flux des personnes envoyées vers les chambres à gaz fut amplifié.
Le plus terrible, de mon point de vue, est que pour des raisons d'économies, les nazis calculèrent la concentration minimale de Zyklon-B (un pesticide à base de cyanure) nécessaire pour entraîner la mort. Si par exemple une dose de 10 grammes était trop élevée, peut-être que 9 grammes suffisaient à tuer tous ceux qui étaient présents dans la chambre à gaz avec la même « efficacité ». Dans ce cas, c'est la dose de 9 grammes qui était fixée comme rentable pour tuer « rapidement et efficacement ». Demeurait également la question de garder les « mains propres ». Finalement, les officiers allemands introduisirent les granulés de Zyklon-B par des fentes percées dans le toit ou par des trous dans les parois de la chambre, et les personnes chargées d'extirper les cadavres étaient juives, pas allemandes. Le processus fut donc complètement aseptisé pour les exécutants.


« Unique ou pas »


En Israël, nous n'abordons pas les génocides avec une approche comparative en tant que telle. Que ce soit au lycée ou dans les universités, nous n'enseignons que l'extermination des Juifs, la Shoah, et pas les autres génocides. C'est une bien triste constatation, mais c'est un fait. Nous avons développé depuis des années une philosophie d'unicité et d'exclusivité de la Shoah. Je ne peux l'admettre. Je considère l'Holocauste comme un événement appartenant à la catégorie des génocides. La Shoah n'est pas une catégorie distincte, qui serait différente d'une autre catégorie appelée génocide. Je pense que l'Holocauste, le génocide juif, doit être étudié dans le cadre d'une approche comparative des génocides. De cette manière, nous pouvons identifier à la fois les points communs entre les actes génocidaires et ce qui est propre à chacun d'eux. Le génocide arménien est par exemple exceptionnel en cela qu'une grande majorité d'États ne le reconnaissent pas. C'est une caractéristique qui lui est propre.
Le génocide juif a lui aussi des aspects uniques, comme les chambres à gaz. Mais les théories raciales, elles, ne sont pas uniques, car dans chaque cas d'acte génocidaire, des théories raciales ont été développées, avec des degrés divers de sophistication. Celles élaborées à l'égard des Juifs étaient scientifiquement très évoluées, si je puis m'exprimer ainsi. Autre caractéristique unique : le fait que les Allemands voulaient éliminer les Juifs partout où ils pouvaient les trouver. Leur mission était de tuer tous les Juifs d'Europe. S'ils ne s'intéressèrent pas aux Juifs des États-Unis, ceux d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient furent visés, de même que certaines communautés minuscules : le chiffre total de Juifs ciblés atteignit 12 millions.


« Après le génocide... »


En Israël vivent les deuxième et troisième générations des survivants du génocide, et elles ont fait l'objet de nombreux travaux de recherche. Nous savons que non seulement les victimes directes ont souffert, mais que leurs parents continuent à souffrir, de même que leurs enfants et petits-enfants. Ils continuent à subir un stress dû aux souffrances endurées par leurs parents et grands-parents. Il en va de même pour les Arméniens. Les survivants du génocide arménien en sont à la quatrième génération. Nous devons mener des études comparatives qui pourront permettre à la science d'ouvrir de nouvelles perspectives sur ces questions. Ces études comparatives seront instructives. Il est important de comparer le cas juif avec le cas arménien car cette comparaison donnera lieu à des approches spécifiques. Les scientifiques ont le devoir de s'appuyer sur la comparaison, mais nous avons tendance à l'éviter. C'est pour moi inacceptable, d'un point de vue moral comme d'un point de vue scientifique. J'espère que dans un avenir proche l'Académie israélienne des sciences et des humanités, de même que les autres universités et les lycées comprendront qu'ils doivent enseigner et étudier les autres cas de génocides. La comparaison ne réduira pas la portée de la Shoah, elle ne pourra que l'amplifier.
En premier lieu, en tant qu'être humain et en tant que Juif, j'estime cette évolution nécessaire parce que le génocide juif a une signification pour l'humanité tout entière, et pas seulement pour le peuple juif. En observant la Shoah sous un angle trop particulariste, nous en atténuons la portée. Deuxièmement, je tiens à souligner que nous, victimes, Juifs et Arméniens, avons beaucoup en commun. Nous avons rencontré énormément de problèmes dès avant le génocide. Les Arméniens ont leur Église, et nous avons notre lien entre nation et religion. De mon point de vue, les génocides auxquels nous avons survécu font de nous des frères, au sens le plus profond du mot.
Il faut ajouter le cas du Rwanda. Il existe trois occurrences « classiques » de génocides : le juif, l'arménien et le rwandais. D'autres massacres se sont produits au XXe siècle, notamment au Cambodge. Mais le génocide cambodgien est plutôt d'ordre « artisanal », comme l'a été, dans une moindre mesure, le génocide rwandais. Les chercheurs qui travaillent sur les génocides admettent ces trois cas. Nos trois sociétés victimes sont soeurs, car nous avons traversé les mêmes atrocités. Je crois profondément que nous devons établir une fraternité entre victimes.
Au lieu de cela, nous assistons à une « compétition » entre victimes : on en vient à jouer à qui a souffert le plus ! C'est inacceptable moralement et scientifiquement. Nous, les Juifs, sommes responsables de cet état de fait car nous revendiquons une exclusivité. Lorsque j'échange avec de jeunes étudiants des universités israéliennes, ils disent « le nôtre est le plus grand, le plus... ». Quand je leur demande ce qu'ils entendent par « le plus », ils répondent « chambres à gaz ». Je leur dis que oui, effectivement, c'est un aspect unique, mais on ne peut pas mesurer ainsi la souffrance d'êtres humains.
Souffrir, c'est souffrir, point ! Nous devons l'admettre, et non pas mesurer nos souffrances, pas dire « nous avons plus souffert ! ». Prenons le cas du Rwanda : les victimes ont été exécutées à coups de machette, elles étaient face aux tueurs, qui dégoulinaient de sang tutsi. Les nazis à l'inverse tentèrent d'éviter ce type de situation, de ne pas côtoyer physiquement les victimes. Nous avons des preuves des premières exécutions nazies où, parce que les soldats étaient si proches des victimes, certains d'entre eux devinrent fous. Que signifie tuer votre voisin parce qu'il ou elle est tutsi - un voisin de toujours et un ami ? Les Tutsis étaient identifiés sur des barrages et abattus sommairement. Même au sein des familles, des maris tuèrent leurs femmes et des épouses assassinèrent leurs maris parce qu'ils ou elles étaient tutsis. Je dirai à ce même étudiant israélien : comment comprendre qu'un père et une mère couchent ensemble, aient des enfants ensemble, puis que l'un ou l'autre perde la tête et tue son conjoint et même parfois ses enfants parce qu'ils sont tutsis ? Comment l'expliquer ? Qu'en conclure pour l'humanité ? Se pose alors une question cruciale : puis-je, moi, Yair, participer à un génocide ? Oui, je peux ! La dimension la plus terrible d'un génocide est qu'il est perpétré par des êtres humains, pas par Dieu. Je n'aime pas le terme d'Holocauste car même dans son étymologie grecque, il sous-entend une intervention divine, alors qu'il s'agit d'un acte tout ce qu'il y a de plus humain. Des êtres humains l'ont fait, continuent de le faire, et le feront à nouveau à l'avenir. Nous devons en tenir compte, cela se reproduira. Il n'y a que par l'éducation que nous pourrons le minimiser.
Je peux raconter l'histoire concrète d'une personne qui est devenue une de mes amies proches, Yolande Nokagasana, une femme tutsie. Elle a perdu toute sa famille, ses trois enfants et son mari. Elle était connue car elle était infirmière. Sage-femme, elle assistait les naissances, souvent sans être payée. Les Hutus cherchaient des cibles tutsies, les représentants connus. Ils égrenaient leurs noms à la radio. Elle fut finalement sauvée par une femme pieuse, qui la cacha dans un espace réduit aménagé dans sa maison. L'infirmière sortait de sa cachette la nuit, pour se dégourdir et faire sa toilette. Une fois, elle entendit une voisine se disputer avec son mari, qui était sorti toute la journée, en lui demandant combien de personnes il avait tuées ce jour-là. La femme dit à son mari de ne pas aller sur le barrage le lendemain pour tuer d'autres personnes. Il lui répondit qu'il y irait quand même pour sauver le Rwanda. C'est une constante, ce type de situation se produit tout au long d'un génocide, et un soldat peut affirmer « je tue mon ennemi pour sauver mon pays ».


Puis-je intervenir dans un génocide ?


Puis-je INTERVENIR DANS UN GÉNOCIDE ? Dois-je risquer ma vie pour sauver des gens ? Certains risquent-ils leur vie pour sauver les autres ? CES QUESTIONS SONT PROBABLEMENT LES PLUS GRAVES, CONCERNANT UN GÉNOCIDE.
Ils sont les justes. Nous devons les appeler ainsi et voir en eux l'autre face, le mérite de l'humanité. Le mois dernier, pendant un voyage au Rwanda, j'ai été présenté à un fonctionnaire du gouvernement hutu, qui avait tout fait pour sauver une famille, en se tenant entre les meurtriers et les victimes potentielles. Il m'affirma que son père l'avait élevé dans le respect des lois du Coran. J'évoque ce détail à cause de la perception ambiante selon laquelle tous les musulmans sont des fanatiques. Il existe bien entendu des fanatiques dans tous les groupes. Son père lui avait inculqué que l'Islam affirme qu'il faut sauver les autres. Qu'il faut se tenir du côté des opprimés. Cet homme a voulu me lire une courte phrase du Coran, que je connaissais, mais il a insisté pour me montrer la ligne : « Qui sauve une vie humaine sauve le monde entier. » Cette sentence existe également dans la tradition juive. L'homme hutu me dit qu'il avait lui aussi élevé son fils, devenu officier dans l'armée hutue, selon ces mêmes principes. Son devoir de soldat lui imposait de tuer. Il possédait un fusil spécial qui pouvait tirer à de nombreuses reprises, et facilement tuer beaucoup de personnes, qu'il soit en service ou en permission. Lui aussi avait sauvé des Tutsis. Mais un membre de son unité l'avait finalement abattu. J'ai alors posé à mon interlocuteur une question très gênante : « Ne regrettez-vous pas d'avoir élevé votre fils dans cette tradition, dans la mesure où si vous ne l'aviez pas fait, il serait avec nous aujourd'hui ? » Il réfléchit longtemps avant de me répondre : « Non, je ne regrette pas ce que mon père m'a enseigné et ce que j'ai transmis à mon fils. » Je fus bouleversé. Il poursuivit : « C'est ainsi que nous devons éduquer nos enfants. » Ses propos portent pour moi un sens profond.
Il est fort possible qu'en certains endroits (en Bosnie, en Albanie ou en Afrique du Nord) plus de musulmans que de chrétiens ont sauvé des Juifs pendant la Shoah. Des Juifs ont été cachés dans la grande mosquée de Paris pendant la guerre.
Malheureusement, chaque groupe de victimes travaille d'abord pour son propre compte. Nous avons besoin, à mon avis, d'accentuer les efforts communs des groupes de victimes. Nous sommes frères au sens le plus profond du mot. Nous devons développer une relation de proximité entre nos communautés, mais également, je pense, entre nos gouvernements. Malheureusement, Israël ne reconnaît pas le génocide arménien, et nous ne pouvons donc pas travailler ensemble à l'échelon du pays sur la prévention des génocides. C'est une faillite morale de l'État d'Israël que de refuser cette reconnaissance. En adoptant cette position, nous avons trahi les victimes du génocide juif, et Israël n'a aucun droit de le faire. De cette manière, Israël enfreint la sacralité de l'être humain. Nous sommes tous égaux, Arméniens, Juifs, Palestiniens, Azerbaïdjanais, Tutsis ou Hutus. C'est de mon point de vue le legs du génocide. Dans chacun des douze livres que j'ai publiés sur le génocide via mon université en Israël, j'ai mis l'accent sur cette philosophie dès l'introduction.
J'ai demandé à des militants en Israël pourquoi le génocide arménien n'était pas reconnu. Nombre d'entre eux ne s'étaient jamais posé la question. Je rappelle que nous sommes en 2015, il faut absolument faire quelque chose pour cette reconnaissance. Même si un parlement reconnaît un génocide, c'est le gouvernement qui valide au final la reconnaissance légale. C'est le processus qu'a suivi la France, et qui lui a pris presque une décennie.
Je pense qu'Israël ne reconnaîtra malheureusement pas le génocide arménien cette année. L'Arménie doit tenir compte de cette réalité, mais pas l'accepter. Des changements sont susceptibles de survenir au sein du parlement israélien, qui pourrait sous certaines conditions voter la reconnaissance, mais le législateur n'est pas un représentant du gouvernement.
Des lois existent contre le négationnisme visant la Shoah. D'après les informations dont je dispose, très peu de pays ont adopté de telles lois pour le génocide arménien. Le texte qui avait été voté en France pour pénaliser la négation du génocide arménien a finalement été retoqué pour des motifs juridiques ou constitutionnels. Nous avons besoin de règles de droit pénalisant le négationnisme de tous les génocides, et pas seulement de certains d'entre eux. À l'heure actuelle, dans certains pays, nier la Shoah est un crime, alors que, malheureusement, nier le génocide arménien ne suscite qu'indifférence.
Nous nous battons contre le monde entier. L'humanité se préoccupe finalement bien peu que des personnes soient tuées. Je ne veux pas dire par là que le monde entier veut tuer des gens, mais lorsque ce type d'événement survient, chacun fait comme si cela ne le concernait pas. Lorsque 10 000 personnes étaient assassinées quotidiennement au Rwanda, pendant plus de cent jours consécutifs, les Américains, les Européens et mes concitoyens israéliens continuaient à vaquer à leurs occupations. Cette tragédie faisait les gros titres, ce n'était pas comme si personne n'en avait entendu parler. Simplement, ça n'intéressait pas les gens. Ils continuaient de vivre leur vie comme si tout cela se déroulait sur une autre planète.


En refusant de reconnaître un génocide, nous préparons le terrain pour de futurs génocides


Cent ans se sont écoulés depuis que les Turcs ont perpétré le génocide arménien, et la Turquie continue de le nier. Parmi les grandes puissances, la France, la Russie et l'Allemagne - mais si peu - ont reconnu ce génocide, mais ni les États-Unis ni le Royaume-Uni. Sur les 193 pays membres de l'ONU, seuls 10 % le reconnaissent. En refusant de reconnaître des actes génocidaires maintenant, nous préparons le terrain pour de futurs génocides. De manière générale, la connaissance de la Shoah est plus avancée que celle d'autres massacres, puis viennent dans l'ordre le cas arménien et le cas rwandais. L'extermination des Tziganes est très peu documentée ; les lieux, la chronologie et les chiffres demeurent un mystère pour tout le monde ou presque. Le corps enseignant, notamment au lycée, doit absolument mettre l'accent dessus.
J'enseigne le génocide arménien en Israël, et de nombreux étudiants sont choqués d'apprendre que le gouvernement israélien n'a pas encore reconnu ces faits. Beaucoup d'entre eux militent désormais pour une reconnaissance israélienne parce qu'ils ont étudié cette tragédie. L'éducation est un passage obligé pour réduire la probabilité de futurs massacres. L'éducation ne peut faire évoluer la situation à elle seule, car la décision de perpétrer un génocide est prise par des hommes politiques, pas par des éducateurs.
Mais mon pays, Israël, vend des armes à l'Azerbaïdjan, qui saisira la première occasion pour attaquer l'Arménie. Cela pourrait constituer rien de moins qu'un prolongement du génocide. J'ai envoyé un courrier à des personnes haut placées au sein du gouvernement israélien pour leur demander des explications sur ces ventes d'armes et demander leur arrêt. Ni la France, ni l'Angleterre, ni les États-Unis ne vendent d'armes à l'Azerbaïdjan. Israël est en revanche l'un des principaux fournisseurs de ce pays. La réponse que j'ai reçue à ma lettre est que, même si Israël est sensible aux questions de droits de l'homme et à la stabilité régionale, ces livraisons continueront. C'est de la pure hypocrisie.