Politique Internationale — Le trafic aérien indien a enregistré une hausse rapide à partir de 2004, soutenu en cela par les premières mesures de libéralisation des transports. -Comment avez-vous commencé à formuler une réelle stratégie de développement de vos infrastructures aéroportuaires et à la mettre en œuvre ?
Shri P. Ashok Gajapathi — La mise à niveau des infrastructures aéroportuaires est un processus continu. L’agrandissement des aéroports existants et la création de nouveaux aéroports font partie de nos plans stratégiques. En 2015-2016, les aéroports indiens ont vu passer plus de 223 millions de passagers pour 1,79 million de rotations d’avions. De fait, le trafic passager a connu une croissance remarquable, de plus de 20 %. L’Airports Authority of India (Autorité indienne des aéroports), qui supervise un grand nombre d’aéroports (environ 120), a établi des plans d’investissement détaillés pour la mise à niveau des infrastructures afin d’anticiper l’augmentation prévue du trafic. Certains de nos plus grands aéroports sont des projets en PPP (partenariat public-privé) et leurs schémas directeurs visant à faire face à la croissance à venir sont déjà en place. Dans le même temps, nous encourageons le développement de nouveaux aéroports, à la fois par le secteur public et par le privé. Le montant total des investissements envisagés pour les cinq années à venir se situe entre 5 et 6 milliards de dollars. Des projets de relance d’une cinquantaine d’aéroports actuellement non opérationnels sont également à l’ordre du jour, pour un coût d’environ 800 millions de dollars. Les prochaines années seront donc marquées des investissements substantiels et la création de nouvelles capacités d’accueil dans le secteur aérien en Inde.
P. I. — Comment intégrez-vous ces projets gigantesques dans le tissu urbain tout en limitant l’impact sur les riverains ? Votre plan d’investissement comprend-il des projections à l’échelle de la ville et du pays ? Prévoit-il la création de nouveaux centres à la périphérie des aéroports, avec le développement d’activités industrielles et commerciales et de zones d’habitation ?
S. P. A. G. — En Inde, la planification urbaine autour des aéroports relève largement de l’autorité de développement de la ville ou de l’entité municipale en charge de la planification. Pour établir leurs schémas d’infrastructures publiques au sein et autour des zones aéroportuaires, elle tient compte des prévisions de trafic, des espaces résidentiels et commerciaux supplémentaires susceptibles de venir se greffer sur ces zones, des routes et des transports publics nécessaires, etc. La conception de ces schémas implique dans les faits un haut niveau de coordination entre les acteurs du secteur aérien et les planificateurs urbains. En parallèle, sur l’aspect citadin de l’aéroport, l’opérateur aéroportuaire supervise les différentes activités génératrices de recettes, qu’elles concernent le secteur aérien ou qu’elles soient centrées sur les passagers : hôtels, centres de formation, etc.
P. I. — Vous avez signé plusieurs partenariats public-privé et vous faites appel à des investisseurs étrangers pour financer vos projets aéroportuaires. Ces derniers ont-ils également vocation à participer au développement des zones qui entourent les aéroports ?
S. P. A. G. — La plupart de nos contrats-types et de nos mesures législatives comportent des dispositions visant à développer la dimension citadine des infrastructures aéroportuaires. Nous avons récemment décidé de modifier notre législation afin de libéraliser encore plus l’utilisation des espaces fonciers pour ce type de développements. Cette évolution permettra, d’une part, d’étendre les infrastructures et, d’autre part, de contribuer à réduire les charges aéroportuaires qui pèsent sur les passagers, en augmentant les recettes annexes de l’opérateur.
P. I. — Estimez-vous avoir créé des villes aéroportuaires — voire des « aerotropolis », pour reprendre la terminologie de John D. Kasarda — intégrant de véritables zones urbaines -(nouvelles) ? Quel est votre objectif ? Un réseau d’aéroports géants — qui, potentiellement, pourraient devenir des villes aéroportuaires — ou une alternance d’aéroports régionaux et/ou locaux ?
S. P. A. G. — L’Inde est un très grand pays, du point de vue à la fois de sa superficie et de sa population. Elle recèle des -disparités énormes en termes de niveaux de développement socio--économique, de densité de peuplement, de perspectives de croissance, etc. Aussi avons-nous probablement besoin d’un modèle qui combine raisonnablement ces trois approches : des villes aéroportuaires, de grands aéroports autonomes et enfin des plateformes régionales plus modestes. Nos grandes agglomérations s’orienteront, à terme, vers une intégration entre le paysage urbain et l’aéroport. Quant aux nouveaux aéroports, construits sur des terrains inoccupés, ils deviendront le noyau de grandes zones urbaines centrées sur eux. Mais parallèlement, pour maintenir des tarifs accessibles, il serait préférable que nos villes de deuxième ou de troisième catégorie, dont le potentiel en termes de trafic passager est relativement limité, se dotent d’aéroports low-cost qui viendront alimenter les grandes plateformes.
P. I. — Depuis maintenant plus de vingt ans, toutes les études mettent en évidence l’énorme potentiel de croissance du trafic aérien indien. Comment les villes aéroportuaires peuvent-elles contribuer à cet essor ?
S. P. A. G. — L’Inde est actuellement le quatrième marché du monde pour le secteur aérien et est en passe, très prochainement, de ravir la troisième place au Japon. D’ici à 2030, même en tenant compte des taux de croissance que connaissent aujourd’hui les différents pays, il est fort possible que nous nous hissions en première position. Nous nous attendons à une forte augmentation de la demande suite au lancement récent du Regional Connectivity Scheme (Schéma de connectivité régionale), qui devrait remettre sur les rails des aéroports petits et moyens. Je pense qu’une très large part de cette demande supplémentaire sera générée par nos villes aéroportuaires du futur, où la croissance économique proviendra, pour l’essentiel, des activités liées au transport aérien. Il s’agira en fait d’une relation symbiotique, dans la mesure où le développement de l’activité économique nourrira en retour la croissance du trafic aérien. Au-delà de la stimulation de cette demande, les aéro-villes nous aideront également à soutenir l’expansion du secteur aérien, en fournissant les infrastructures adéquates au sol.
P. I. — Les villes aéroportuaires peuvent-elles encourager la population — en particulier les classes moyennes — à privilégier le transport aérien pour leurs voyages d’affaires, de loisirs ou leurs déplacements en famille ?
S. P. A. G. — Les Indiens prennent l’avion beaucoup plus qu’autrefois — pour des voyages d’agrément comme pour des déplacements professionnels. Cette évolution se traduit dans les taux de croissance du secteur aérien, qui se maintiennent à des niveaux supérieurs à 20 % depuis près de deux ans. Nous avons établi un schéma directeur de subvention à destination de nos plateformes régionales et ainsi limité le prix des billets pour les passagers en provenance de ces aéroports à des niveaux très abordables (environ 35 dollars par heure de vol). Ces tarifs — qui se rapprochent désormais de ceux des billets de train en première classe — vont inciter de nombreux Indiens à choisir l’avion plutôt que la route ou le rail. L’effet sera d’autant plus puissant que les gens disposeront d’un aéroport à proximité de leur lieu de résidence ou de travail. La classe moyenne indienne compte environ 400 millions d’individus, mais les vols domestiques ne représentent que 100 millions de trajets annuels. Même si l’on ne tient pas compte de ceux qui prennent l’avion plusieurs fois dans l’année, cette différence implique qu’un Indien de la classe moyenne ne vole qu’une fois tous les quatre ans en moyenne. Au vu de l’augmentation des revenus de cette catégorie de la population et de la plus grande mobilité des jeunes générations, nous disposons donc d’un réservoir de croissance considérable.
P. I. — Que vous reste-t-il à faire — en termes de développement des villes aéroportuaires — pour assurer une croissance durable du secteur aérien indien ?
S. P. A. G. — Comme je l’ai déjà indiqué, notre trafic aérien enregistre une progression annuelle supérieure à 20 % depuis deux ans, ce qui fait de l’Inde le pays le plus dynamique parmi les principales économies mondiales. Notre principal défi est d’anticiper les évolutions. Le point le plus important porte évidemment sur la création d’infrastructures et la gestion des capacités d’accueil, qui passent par la construction de nouveaux aéroports et l’extension des installations existantes. Un deuxième enjeu concerne la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée à tous les échelons, qui nous permette de faire face à cette croissance. Une étude, que nous avons réalisée récemment, montre qu’en 2035 le secteur aérien indien aura besoin de presque six fois plus de personnel qu’aujourd’hui. Cet objectif n’est pas simple à atteindre ; il -faudra mettre en place des mécanismes institutionnels pour former à ces métiers et satisfaire la demande en main-d’œuvre spécialisée. Troisième point : alors que le monde entier doit faire face à de graves menaces en termes de sécurité, et que les aéroports et le transport aérien se révèlent être des cibles particulièrement vulnérables, nous nous devons également d’innover et d’être sur nos gardes en permanence, afin de garantir que nos espaces aériens et nos terminaux restent des endroits sûrs. Quatrièmement, le potentiel du fret aérien n’est pas encore pleinement exploité en Inde et, curieusement, les taux de croissance de ce secteur n’atteignent pas ceux du trafic passager. Enfin, nous sommes pleinement conscients de la nécessité de développer des technologies visant à réduire les émissions de CO2 afin d’assurer une croissance durable du transport aérien. Tels sont, à mes yeux, les principaux sujets que nous aurons à traiter dans un avenir proche.