Les Grands de ce monde s'expriment dans

Les mobilités mondialisées en jeu dans l’espace public aéroportuaire

Politique Internationale — Quelles sont les mobilités à l’œuvre au sein d’un aéroport international ?

Jean-Baptiste Frétigny — Il y a deux manières d’appréhender l’aéroport. Une manière englobante, qui met l’accent sur l’analyse du réseau aérien proprement dit et donc sur les flux entre les différents sites. Et une manière plus fine qui consiste à étudier l’aéroport dans son contexte urbain et régional, en prenant notamment en compte les questions d’aménagement. Réfléchir aux mobilités permet de connecter ces deux approches. 

P. I. — Qui sont les acteurs de ces mobilités ?

J.-B. F. — Parmi les acteurs des mobilités figurent les passagers et les « attendants » qui les accompagnent, les salariés des aéroports, ou encore la police aux frontières et les douanes. On trouve également d’autres publics plus variés. Il y a ceux qui viennent dans les aéroports pour profiter d’un équipement de transport terrestre comme une gare TGV, pour les loisirs ou pour le shopping. 

Ces publics sont très hétérogènes et les formes d’encadrement de ces mobilités sont assez différentes. Comment les accréditations et les badges aéroportuaires sont-ils attribués aux -salariés ? Comment les manifestations qui se déroulent dans l’espace public aéroportuaire sont-elles gérées ? Quelle est la place des sans-abris ? Quelles sont les motivations des passagers dans leurs déplacements ? Autant de questions qui appellent des réponses très diverses. 

P. I. — Comment ces différentes mobilités s’organisent-elles ? Entrent-elles parfois en conflit ?

J.-B. F. — Il existe une hiérarchie implicite des acteurs qui interviennent dans l’aménagement de ces espaces. D’une manière générale, les espaces aéroportuaires sont organisés autour des passagers aériens. On se rend bien compte de ce phénomène lorsqu’on possède un badge de l’aéroport. On va se retrouver à emprunter des circuits périphériques par rapport à ceux des passagers. Ceux-ci ne sont pas forcément bien balisés. Je me souviens de mes premières expériences avec badge à Francfort, où il fallait suivre les mêmes chemins que les voiturettes pour les passagers à mobilité réduite, sans que rien ne soit indiqué. C’est une pratique qui se transmettait de salarié à salarié de la plateforme.

Mais des oppositions se font jour au sein même du groupe des passagers aériens. Cela se ressent dans la différenciation des parcours pour les passagers des classes dites « avant » — première classe et classe affaires — et les voyageurs dits « fréquents ». On trouve des coupe-files, comme « l’Accès n° 1 » chez Paris -Aéroport, des places « premium » dans les parkings, des accès directs à l’avion en voiture, des terminaux dédiés comme à -Francfort ou Dubaï, sans compter les accès pour les missions diplomatiques et l’aviation privée. Les compagnies aériennes ne sont pas en reste. Lufthansa va jusqu’à déterminer quels sont les vols prioritaires à l’arrivée en fonction des caractéristiques des passagers. 

P. I. — Comment expliquer ces oppositions ?

J.-B. F. — Ce sont des différenciations très complexes car elles ne relèvent pas de la volonté d’un seul acteur. D’habitude, ce genre de séparations spatiales et sociales s’opère par l’habitat. Elles s’expriment ici dans la mobilité et le mouvement, ce qui est assez original. L’aéroport n’est pas le seul concerné, mais c’est un des lieux où elles sont le plus travaillées et le plus sophistiquées. C’est lié à l’hétérogénéité des publics qu’ils accueillent, des plus démunis aux plus puissants. 

L’aéroport est une grande machine à brasser mais aussi à trier les populations, selon diverses logiques économiques et sociales, mises en œuvre par des acteurs hétérogènes (États, compagnies aériennes, gestionnaires d’aéroports, opérateurs commerciaux, etc.). C’est une sorte de kaléidoscope. 

P. I. — Retrouve-t-on des schémas directeurs communs d’un grand hub à l’autre ?

J.-B. F. — Les mobilités qui s’expriment au sein des grands aéroports se retrouvent à travers la plupart des hubs mondiaux. Les modèles d’aménagement et de fonctionnement des aéroports circulent de l’un à l’autre. 

Cela dit, bien que chaque plateforme soit étroitement articulée avec les autres et fortement influencée par les idées qui se diffusent, elle présente des spécificités qui lui sont propres : chacune des populations qui la fréquentent adopte des mobilités -particulières. 

P. I. — Peut-on établir une typologie par continent ?

J.-B. F. — L’aéroport est étroitement imbriqué à son territoire. Dans les aéroports du golfe Persique, par exemple, les mobilités liées aux migrants sont extrêmement importantes. C’est moins le cas ailleurs, où même s’ils représentent une proportion importante des passagers, ils sont rarement mis en avant. À Dubaï, les passagers à mobilité réduite font l’objet d’une attention moindre par rapport aux standards européens. Le gestionnaire promeut des services payants qui, en Europe, seraient considérés comme relevant d’un service public. 

De même, la politique répressive de Dubaï envers les sans-abris explique que ces derniers soient exclus des aérogares. Aucune association n’est là pour s’occuper d’eux. À Paris, -Francfort ou Amsterdam, en revanche, des organisations humanitaires sont présentes, même si elles incitent parfois les sans-abris à quitter l’aéroport pour se diriger vers d’autres espaces.

En Amérique du Nord, où les mobilités intérieures occupent une place prépondérante, le grand hub n’a pas forcément une dimension internationale comme en Europe. Les surfaces commerciales, indissociables de l’activité long-courrier avec tout l’imaginaire collectif autour du duty free, sont moins développées. Les gestionnaires sont publics et obéissent à des logiques de fonctionnement différentes de celle des acteurs privés. La question des revenus commerciaux se pose moins car l’enjeu de rentabilité est moins important pour eux. 

En Asie, les passagers qui se déplacent pour des raisons professionnelles sont en proportion plus importante. Même si le tourisme et les autres formes de mobilités progressent, le panachage des mobilités diffère de celui des plateformes européennes. Cela qui entraîne des différences notables jusque dans le fonctionnement des aéroports. 

C’est tout le paradoxe de ce monde aérien fortement internationalisé qui repose sur des constructions culturelles et sociales profondément marquées par des spécificités nationales et macro-régionales. 

P. I. — Quels rôles ces grands aéroports jouent-ils dans l’espace urbain ? 

J.-B. F. — Ces mobilités contribuent à rendre l’espace urbain polycentrique. À Paris, on voit émerger au-delà du centre historique un certain nombre de pôles périphériques. C’est ce qu’on appelle en géographie des centralités secondaires. La Défense en est le cas le plus typique, qui associe un centre d’affaires et un centre commercial. Roissy est probablement l’autre exemple emblématique de ces centralités émergentes. C’est vraiment là un rôle majeur des aéroports. 

Ce phénomène interroge nos représentations de la ville qui sont longtemps restées polarisées par les centres historiques. Pourtant le nombre moyen de personnes présentes chaque jour à Roissy (passagers, attendants, salariés, etc.) est équivalent à la population résidentielle d’une commune comme Lille.

Lorsqu’on regarde le prix de vente au mètre carré des boutiques dans les aéroports européens, on s’aperçoit que certaines enseignes atteignent des sommes comparables, voire supérieures, à celles d’artères commerciales réputées comme les Champs--Élysées à Paris ou Oxford Street à Londres. 

D’ailleurs, les projets d’aménagement du Grand Paris, avec le développement du réseau du Grand Paris Express, visent à reconnaître le rôle des aéroports d’Orly et de Roissy dans le changement d’échelle de l’aire métropolitaine parisienne. 

P. I. — En quoi ces grands aéroports sont-ils représentatifs du territoire qui les entoure ?

J.-B. F. — L’intégration de l’aéroport dans l’espace urbain dépend du moment où la plateforme a été créée et développée. Roissy, inauguré en 1974, est assez récent par rapport aux autres grands hubs européens. Les aéroports de Francfort et d’Amsterdam sont d’implantation plus ancienne. Ils sont donc mieux intégrés et les activités qui y sont associées sont plus diversifiées. 

Cette évolution s’inscrit dans le cycle de développement des aéroports : à leur création, ils sont éloignés des centres urbains et très spécialisés dans le transport aérien, à l’image de Beauvais ou de Vatry aujourd’hui. Ensuite, ils catalysent en partie l’urbanisation et sont progressivement gagnés par l’urbanisation, comme Roissy. Dans un troisième temps, on en vient à limiter la place consacrée au transport aérien, au moins à certaines heures. C’est l’exemple d’Orly, où un couvre-feu a été instauré ainsi qu’une limitation annuelle du nombre de décollages et d’atterrissages (1). À ce stade, on observe souvent une diversification des activités qui peut aller jusqu’à certaines formes de patrimonialisation et de muséification, comme au Bourget. 

La représentativité des voyageurs est un autre enjeu. On parle beaucoup de démocratisation du transport aérien mais, en réalité, la population des passagers reste assez homogène. Elle n’est pas représentative de la population d’un territoire comme la France dans son ensemble. Les cadres et les professions intellectuelles supérieures sont surreprésentés, tandis que les ouvriers et les employés sont sous-représentés. Le transport aérien s’ouvre peu à peu à toutes les catégories sociales, mais il ne faut pas surestimer le rythme du changement, y compris avec les compagnies à bas coût. De même, la population des passagers tend à rester davantage masculine sur certaines liaisons mais aussi dans les salons et dans les classes affaires des compagnies aériennes.

Le profil des salariés des grands aéroports correspond en général au territoire qui les entoure. Ils sont souvent — en tout cas, plus que dans d’autres espaces urbains — originaires d’autres pays. Ils font ainsi écho au cosmopolitisme des passagers. C’est assez clair à Roissy dont l’aire de recrutement recouvre la Seine-Saint-Denis. Ce recours à la main d’œuvre étrangère s’explique par la division spatiale du travail, mais aussi par la nature des emplois : faible qualification, horaires décalés, etc. Comme à l’échelle métropolitaine, ces emplois sont bien souvent occupés par les populations migrantes. Ce n’est pas spécifique à Paris. À Londres, les populations indiennes, bangladaises ou pakistanaises sont très présentes autour de l’aéroport d’Heathrow. 

P. I. — Comment ces aéroports influencent-ils les mobilités dans leur environnement proche et dans la métropole à laquelle ils se rattachent ?

J.-B. F. — On parle souvent de territoires aéroportuaires pour désigner ces espaces qui sont en étroite relation avec les aéroports, même si leurs limites sont parfois difficiles à cerner. Il se crée autour des aéroports des réseaux capillaires, avec des liaisons aussi bien autoroutières que ferroviaires pour la desserte régionale et internationale. Roissy, par exemple, communique de façon intense avec la gare du Nord à Paris, mais aussi avec d’autres grands pôles d’échanges multimodaux de la métropole parisienne et au-delà. 

Aucun autre espace concentre autant de réseaux de transports aussi variés. Heathrow est la première gare routière du Royaume-Uni. La palette extrêmement large des mobilités possibles pour rejoindre un aéroport — Amsterdam-Schiphol développe même l’accès en vélo — montre, là encore, que ce qui fait centre dans les métropoles s’affirme aussi en dehors des quartiers historiques.

Les horaires décalés des salariés et des passagers, avec des vols très tôt le matin, contribuent également à cette diversité. Un système dédié de transports à la demande — taxis, motos-taxis, VTC, navettes, etc. — a été mis en place. Il existe également des liaisons spécifiques entre les aéroports et les centres historiques, avec des projets comme le CDG Express.

Il ne s’agit pas de simples juxtapositions de moyens de transport mais de vraies plateformes d’échanges terrestres. L’aéroport Amsterdam-Schiphol est un lieu de correspondance quotidienne entre deux trains ou un train et un bus pour de nombreux habitants de la région d’Amsterdam. 

P. I. — Comment les mobilités contribuent-elles à constituer la ville aéroportuaire ?

J.-B. F. — Les mobilités façonnent la ville aéroportuaire comme elles façonnent les autres territoires urbains. Un aéroport, ce n’est pas que des infrastructures et leur exploitation, c’est aussi des déplacements, des rapports aux lieux et aux changements de lieux engagés par une multiplicité d’acteurs. 

Les grands discours sur l’aéroville, l’airport city, sont parfois trompeurs. Ils renvoient à ce qu’on a appelé le mythe des effets structurants des transports. Il faut prendre garde à ne pas réactiver ce mythe en pensant que les mobilités aériennes et les plateformes aéroportuaires ont des effets structurants systématiques en termes d’aménagement et de développement. 

Roissypole est un cas intéressant. Lorsque le Dôme a été inauguré en 1993 (2), on espérait y héberger toute une série d’activités annexes. Cela n’a pas été le cas. Il est vrai que la conjoncture était défavorable, mais cet exemple montre bien que la ville aéroportuaire ne se décrète pas. La diversification des activités n’est pas automatique. 

P. I. — Existe-t-il, aux alentours de l’aéroport, des mobilités détachées de l’activité aérienne (hors personnels travaillant sur l’aéroport et passagers) ? Je pense à Aéroville à Roissy…

J.-B. F. — Les activités agrégées aux aéroports ont, pour la plupart, un rapport avec le cœur de métier aérien ou avec la logistique inhérente à l’activité aérienne. Celles qui relèvent d’autres logiques sont plus rares. À Francfort, une « New Work City » a été construite en 2011 au-dessus de la gare TGV. Il s’agit de bureaux qui ne sont pas nécessairement dédiés à l’activité aérienne. C’est du moins l’objectif des promoteurs, qui insistent sur la très bonne accessibilité et les possibilités de connexion depuis l’aéroport et la ville, avec des commerces ouverts sept jours sur sept.

Le centre commercial Aéroville relève d’une logique voisine. Ce qu’il a d’aéroportuaire, c’est sa situation à l’extrémité de la plateforme de Roissy, mais aussi le fait qu’il soit situé sur les terrains d’un gestionnaire aéroportuaire, Paris Aéroport. Le public qui le fréquente n’est pas tant composé de passagers que des salariés et des habitants du nord-est de la métropole parisienne. L’accès est d’ailleurs routier. De même, il n’apparaît pas sur le plan public de la plateforme à destination des passagers aériens. Il témoigne plutôt de la transformation du rôle des gestionnaires d’aéroports qui fonctionnent de plus en plus comme des opérateurs fonciers. Le nom Aéroville relève d’un marketing territorial qui vise à singulariser un équipement commercial d’envergure régionale et marquer cette centralité aéroportuaire avec une identité propre. 

La diversification des activités au milieu des plateformes aéroportuaires en dehors de l’aérien s’opère aussi de façon plus discrète avec les activités de loisirs engagées par les riverains de l’aéroport. Ce type de mobilités n’est pas marginal, à Francfort et à Amsterdam notamment, où les commerces et les restaurants sont fréquentés par des familles le week-end. 

P. I. — Ces mobilités ont-elles connu des évolutions majeures au cours des dernières années ?

J.-B. F. — La complexification des parcours aéroportuaires et le gigantisme croissant des aérogares — qui font partie des plus grands bâtiments du monde — conduisent au développement de transports internes et de nouveaux outils qui encouragent les mobilités. Parmi ces outils, on peut citer la numérisation du parcours avec les bornes d’enregistrement, les déposes-bagages automatiques, etc. Le rapport au numérique est d’ailleurs assez ambigu dans la mesure où, d’un côté, il facilite le parcours de la grande masse des passagers tandis que, de l’autre, il contribue à le rendre plus difficile pour ceux qui sont moins à l’aise avec les nouvelles technologies. 

On relève aussi une diversification des mobilités aériennes : élargissement des activités qui motivent les déplacements ; déplacements des personnes âgées ; arrivée de passagers d’horizons de plus en plus variés, qui parlent des langues différentes et qui maîtrisent d’autres codes culturels. Cette évolution oblige à un décentrement des différents acteurs aéroportuaires afin de construire des espaces moins ethnocentrés. C’est un vrai défi que d’arriver à établir des parcours passagers pour des individus munis de clefs d’orientation très diverses. C’est aussi ce qui rend l’aéroport passionnant : comment aménager et faire fonctionner ces espaces-là pour des populations disparates ?

Les mobilités aériennes génèrent des expériences géographiques fortes pour les individus, faisant de l’aéroport un lieu de mémoire pour un nombre croissant de passagers. Au point qu’une tension se crée entre l’attachement au patrimoine et l’aspiration à la modernité — la modernité étant vécue comme une garantie contre toute forme d’accident dans la mobilité aérienne. 

P. I. — Comment les aéroports concilient-ils ce besoin de -modernité avec la mémoire de leurs mobilités ?

J.-B. F. — C’est toute la question de la patrimonialisation des aéroports. Depuis 1974, Roissy s’est forgé une histoire, notamment une histoire migratoire. C’est là que sont déposées l’immense majorité des demandes d’asile. Roissy est devenu une sorte d’Ellis Island du XXIe siècle tandis que l’authentique Ellis Island a été transformée un musée. Cela pose la question de savoir comment aménager des bâtiments historiques comme le Terminal 1, par lequel sont arrivés pour la première fois en France de multiples personnes, en tenant compte de cet héritage et de ces dimensions sociale, politique et culturelle. 

P. I. — Le désengagement progressif de l’État des plateformes aéroportuaires a-t-il eu un impact sur l’évolution des -mobilités ?

J.-B. F. — Les gestionnaires d’aéroport ont dû adapter leur mode de fonctionnement. L’objectif d’amplification et de diversification des revenus a pris une importance majeure, avec l’accroissement des investissements pour l’exploitation de la plateforme, son extension, etc., dans un contexte inédit de mise en concurrence avec d’autres aéroports pour les passagers en correspondance. Cela passe par la mise en commerce des espaces aéroportuaires ainsi que par la création d’une multiplicité de services.

Certaines sources de revenus comme les parkings représentent également un enjeu car on attend des mobilités associées aux aéroports qu’elles soient plus durables, en particulier les mobilités terrestres. Mais il y a là un conflit d’intérêts pour le gestionnaire d’aéroport qui doit de plus en plus compter sur ses propres revenus. Or ceux tirés des parkings sont importants.

Depuis les années 1970, on assiste à une montée en puissance de la surveillance et du contrôle des mobilités. Le -désengagement de l’État est marqué notamment par la sous-traitance de la sûreté aéroportuaire à des sociétés privées spécialisées, mais aussi aux compagnies aériennes pour l’accès à l’avion et les rapprochements documentaires (3).

Les aéroports ont toujours été des laboratoires pour ces politiques de sûreté, qui mêlent acteurs privés et acteurs publics. On y expérimente les techniques de contrôle les plus sophistiquées, la biométrie, la numérisation des outils, etc. Les aéroports anticipent le déploiement de ces transformations dans d’autres espaces de nos sociétés urbaines. 

P. I. — Peut-on s’attendre à de nouvelles transformations ?

J.-B. F. — Les aéroports de demain font l’objet de nombreuses anticipations, notamment dans les travaux de John D. Kasarda. Cet universitaire étasunien est le père de la notion d’Aerotropolis, plus englobante que celle de ville aéroportuaire, selon laquelle l’ensemble du fonctionnement urbain s’articulerait autour des aéroports. Les ports ont joué un très grand rôle dans le développement urbain pendant des siècles et son pari est que dans les années qui viennent les aéroports pourraient prendre le relais.

Une autre tendance se dessine avec la politisation des aéroports. On peut penser aux manifestations de riverains contre les nuisances sonores, notamment à Francfort (4). Ces enjeux politiques des mobilités aériennes tiennent aussi aux migrations, à travers la question des expulsions, du traitement et de la rétention aéroportuaire de migrants. Ils relèvent aussi de tensions internationales, cristallisées par exemple par les refus d’embarquement de militants pro-palestiniens. Les aéroports condensent une partie substantielle des enjeux géopolitiques mondiaux.

Ce qui fait la richesse de ces lieux, c’est qu’ils soulèvent des questions et d’enjeux majeurs qui traversent nos sociétés contemporaines. Ils nous ramènent à nos futurs possibles. C’est probablement la raison pour laquelle s’est développé un imaginaire aussi fort autour des aéroports et des mobilités qui les animent. 

(1) À Orly, l’activité est plafonnée à 250 000 mouvements par an depuis 1994.

(2) Ensemble de bureaux accolé à la gare RER Aéroport Charles de Gaulle 1.

(3) Correspondance entre les documents d’identité du passager et les informations fournies par celui-ci. 

(4) Chaque lundi, les riverains de l’aéroport de Francfort se réunissent pour manifester contre le bruit.