Politique Internationale — La Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) est chargée de l’aménagement des sites olympiques et paralympiques pour Paris 2024. Avant de vous lancer dans cette aventure, avez-vous regardé à l’étranger comment les choses fonctionnaient ?
Isabelle Vallentin — Bien sûr. Dès le début, nous avons eu le souci d’élargir notre périmètre de réflexion. L’approche des Jeux de Tokyo, en 2021, a été un peu limitée en raison de la pandémie. Ce n’étaient pas des Jeux en configuration classique. En revanche, nous avons soigneusement étudié les éditions précédentes. Toutes ont eu de bonnes idées, mais nous avons décidé de partir sur des bases différentes en prenant le sujet dans l’autre sens. Je m’explique : plutôt que d’aménager les sites en fonction des compétitions puis de songer à leur reconversion, nous avons voulu répondre aux besoins de la population avant d’envisager le prisme sportif. Prenons un exemple très concret : le village olympique va prendre racine dans un futur quartier de vie qui comprendra une large gamme de services et d’équipements publics pour accompagner le quotidien des gens.
Nous avons pensé ce quartier pour ses futurs habitants avant de penser à l’édification du village olympique. Cela ne signifie pas que nous mésestimons les attentes des milliers d’athlètes qui se rendront à Paris : au contraire, nous nous sommes aperçus combien ces jeunes sportifs soumis au stress des épreuves avaient besoin de respirer et de se retrouver entre eux. Le village olympique de Paris 2024 sera à la fois confortable, aéré et chaleureux.
P. I. — Plusieurs grandes entreprises françaises sont associées à l’organisation de Paris 2024, dont certaines directement aux projets relevant de votre compétence. Suivent-elles, comme vous, la démarche qui part des besoins globaux avant de prendre en compte l’aspect sportif ?
I. V. — À la Solideo nous avons à cœur, au quotidien, de livrer un héritage durable et confortable pour le territoire. En effet, notre mission principale est la construction d’ouvrages et d’infrastructures pérennes au service des habitants et des usagers. Nos missions sont celles d’un établissement public d’aménagement. Par nature, nous travaillons donc majoritairement avec les acteurs de l’aménagement et de la construction. Dans la conduite des projets, nous avançons avec l’objectif de préfigurer la ville de demain, dans la lignée des ambitions environnementales, sociales et d’accessibilité. La dimension olympique et paralympique de nos ouvrages agit comme un accélérateur qui permet de mobiliser les savoir-faire et incite les acteurs à réunir leurs expertises au service de la ville de demain. La réussite de notre mission sera jugée sur la qualité des ouvrages et sur leur bonne reconversion au bénéfice des habitants et des usagers dès la fin des Jeux.
P. I. — Pour les chantiers de Paris 2024, comment se déroule la phase de concertation ?
I. V. — On peut distinguer deux volets. Le premier, le contexte réglementaire, est très encadré. Il s’appuie sur un ensemble de textes qui délimitent des procédures incontournables. Pour l’essentiel, les enquêtes publiques se sont déroulées sur la période 2019-2020. Au-delà de l’aspect réglementaire, nous avons souhaité innover également dans ce domaine en associant au maximum le public. Les gens ont par exemple pu donner leur avis par voie électronique.
La crise sanitaire n’a pas interrompu cet effort : grâce aux outils digitaux, des réunions virtuelles ont pris le relais des rendez-vous prévus initialement dans les salles municipales. Le second volet de la concertation est plus informel : nous avons décidé d’aller à la rencontre de la population pour présenter les projets et répondre à leurs inquiétudes ; des inquiétudes au demeurant légitimes dès lors que nous faisons évoluer en profondeur leur quartier, l’environnement auquel ils sont habitués. Au total, plus de 150 réunions publiques ont été organisées depuis 2019 rien que sur les projets où nous avons la maîtrise d’ouvrage (NDLR : le Village des athlètes, le Village des médias et la colline d’Élancourt). Cela représente une réunion par semaine et plus de 3 000 personnes rencontrées.
P. I. — Avez-vous le regard rivé sans arrêt sur le calendrier, pour savoir si vous êtes dans les temps par rapport à l’échéance de l’été 2024 ?
I. V. — Dès 2018, nous avons élaboré un planning de travaux des ouvrages olympiques avec des échéances très précises. L’ensemble des chantiers devra être livré pour le 31 décembre 2023. Suivra une période de levées de réserves éventuelles jusqu’au 1er mars 2024. Aujourd’hui, nous sommes dans les délais, et respectons les coûts et les programmes prévus en 2018. Nous avons 40 ouvrages en chantier, qui seront portés à 58 d’ici la fin de l’année. Rappelons que le rôle de la Solideo est double : d’un côté, nous réalisons directement certains projets de construction, à l’image du Village des athlètes et du Village des médias ; de l’autre, nous exerçons une mission de supervision, laquelle consiste à veiller au respect du calendrier, des coûts et des ambitions pour l’ensemble du projet. Dans ce cadre, nous veillons au bon acheminement des financements publics entre l’ensemble des parties prenantes. Pour ces différents domaines d’intervention, nous utilisons une méthodologie de reporting éprouvée et exigeante, empruntée aux meilleures pratiques dans l’industrie. Il peut toujours y avoir des problèmes de retard — c’est le lot commun des chantiers d’envergure —, mais nous sommes organisés pour y faire face : des signaux d’alerte en amont, une gestion fluide des délais, l’octroi d’équipes supplémentaires… Concrètement, nous ne sommes jamais à court de solutions.
P. I. — Le défi de l’acceptabilité de vos projets est un enjeu primordial, gage de la réussite de l’opération globale que vous portez. Comment sensibilisez-vous les entreprises qui vous accompagnent ?
I. V. — Globalement, que ce soit sur le plan de l’excellence environnementale, de l’accessibilité, de l’emploi ou du développement territorial, toutes les entreprises et parties prenantes qui rejoignent l’aventure olympique ont les mêmes ambitions que la Solideo. Les conventions d’objectifs que nous signons contractualisent ces ambitions auprès des entreprises. C’est donc une mission collective, y compris sur l’acceptabilité. Selon les temps forts de chaque ouvrage ou de chaque secteur, certains acteurs ont également participé aux actions de participation et de concertation organisées tout au long de la conception des projets. L’acceptabilité de nos projets passe par l’implication de toutes les parties prenantes.
P. I. — Vous évoquiez les inquiétudes des populations inhérentes au développement de tout grand projet. Jusqu’à quel point proposez-vous une information sur mesure ?
I. V. — Nous sommes partis sur le principe d’ateliers, consacrés chacun à un ou deux sujets précis : l’aménagement des espaces publics, les transports, les questions de copropriété, les zones scolaires ou encore les schémas de financement. Ces ateliers sont suivis de restitutions, et nos projets peuvent être amendés lorsque de bonnes idées se font jour. Ce mode de fonctionnement permet vraiment d’aller au fond des choses contrairement à un tour de piste général qui n’apporte pas la même densité d’informations. Dans le même temps, nous éditons un magazine, dont plus de 50 000 exemplaires ont été distribués sur le Village des athlètes, qui offre un suivi détaillé du déroulement des projets.
P. I. — Vous n’avez jamais craint qu’un débat puisse déraper, par exemple lors des réunions publiques…
I. V. — Non. Tout d’abord, chacune de nos réunions est pilotée par des professionnels, avec un médiateur qui répartit les temps de parole et veille à des débats équilibrés. La contradiction est possible et même bienvenue pour favoriser une plus grande appropriation. À charge pour nous de montrer comment nos réalisations épousent les aspirations de tous. En l’occurrence, depuis le début, je crois en la qualité de nos propositions. Par exemple, nous n’avons jamais fait dans le gigantisme avec des immeubles d’habitation de plus de dix étages.
P. I. — L’idée, à travers ces échanges, est-elle de montrer que la vie dans le quartier du futur village olympique sera plus agréable ?
I. V. — Ce n’est pas une idée, c’est la réalité ! Le périmètre du village olympique, tel que nous le réagençons actuellement, va offrir un quartier exemplaire, préfigurant la ville de demain, avec plus de confort et plus de facilités, agréable à vivre au quotidien. Au terme des Jeux, cette zone sera « connectée » avec le reste du territoire. Nous allons introduire également des coupures d’urbanisation (NDLR : des aménagements écologiques) qui vont faire coexister harmonieusement des paysages naturels, la biodiversité et des développements urbains. Le tout en limitant au maximum les contraintes puisque le site du Village des athlètes repose majoritairement sur une ancienne friche industrielle.
P. I. — Comment la lutte contre le réchauffement climatique vient- elle étayer l’ensemble de vos process ?
I. V. — C’est l’une des spécificités de Paris 2024 : les Jeux en France placent la barre très haut en termes de rempart contre le carbone. La Solideo s’inscrit pleinement dans ce mouvement avec une stratégie d’excellence environnementale validée dès 2018 par le conseil d’administration, qui se traduit par une capacité d’innovation très forte. La transition écologique est présente à chaque étape de nos projets, de leur conception à leur cycle de vie — qui inclut la consommation d’énergie — en passant par la phase de construction. Il y a encore dix ans, nous réfléchissions à comment réduire les ponts thermiques dans les bâtiments, à savoir ces défauts d’isolation qui génèrent des pertes de chaleur et augmentent la dépense énergétique pendant l’hiver. Dans le cas des ouvrages de Paris 2024, il s’agit non seulement de parer efficacement à la déperdition de chaleur au moment des chutes de température, mais aussi de protéger les usagers des effets de la canicule à travers notamment le développement d’un réseau de froid alimenté par une eau géothermale, sans recours à la climatisation artificielle. Ce projet sera très efficace et utile sur le long terme. Selon des scénarios climatiques réalisés avec Météo France, le climat à Paris à l’horizon de 2050 se rapprochera de celui de Madrid actuellement. Nous avons également mis en place un fonds innovation et écologie, visant à subventionner des projets en faveur de la transition écologique ou de l’accessibilité.
P. I. — Les industriels sont-ils au diapason de votre gamme d’exigences : accessibilité, transition écologique, gestion du dialogue… ?
I. V. — L’ensemble des maîtres d’ouvrages olympiques suivent des objectifs forts inscrits dans des contrats qui nous lient, à l’image de la Stratégie d’excellence environnementale ou encore de la Charte emploi et développement territorial qui ont été adoptées en conseil d’administration de la Solideo. Ces ambitions font également partie des critères d’évaluation lors de l’analyse des marchés passés avec les entreprises. Dès lors, des pénalités sont prévues si les objectifs ne sont pas remplis. Mais, jusqu’à présent, nous n’avons pas eu besoin d’appliquer ces pénalités, et ce n’est pas l’esprit de la mission. Tous les acteurs à bord sont aujourd’hui engagés dans une dynamique collective de réussite et d’exemplarité. Sur le Village des athlètes, les différents maîtres d’ouvrage échangent entre eux, à la fois sur les réussites et les difficultés rencontrées. Nous sommes conscients que les Jeux vont générer une attention accrue sur nos ouvrages. C’est l’occasion pour la France de démontrer toute son expertise dans le domaine de la construction et de l’aménagement de la ville de demain. Nous avons bien l’intention de saisir cette chance, collectivement.