Politique Internationale — Quelques mots d’introduction sur TOA Road…
Takashi Matsumura — TOA Road est l’une des plus anciennes entreprises du Japon spécialisées dans la construction de routes. Elle a été fondée il y a plus de 90 ans. Elle est connue en particulier pour avoir été la première à fabriquer et à vendre des émulsions de bitume. L’accent a été mis sur les routes un peu plus tard, lors de la reconstruction d’après-guerre, synonyme de forte croissance pour les chantiers d’infrastructures. Le résultat est à la hauteur de ces enjeux : TOA Road s’est imposée comme un industriel incontournable dans la fabrication de matériaux de chaussées et la construction de routes.
P. I. — Peut-on entrer un tout petit peu dans le détail de vos produits ?
T. M. — Le bitume modifié et les enrobés bitumineux sont nos deux principaux produits. Ils représentent environ la moitié des ventes sur le marché intérieur. Mais nous avons développé également d’autres segments, comme le ciment et les émulsions de bitume ou les revêtements à destination des installations paysagères et sportives. À titre d’exemple, les techniques à base d’émulsion sont celles utilisées pour la voie du Shinkansen, le train à grande vitesse japonais. S’agissant des revêtements, nous équipons l’intégralité des vélodromes du pays. Autant dire que TOA Road couvre un large éventail d’activités. En marge des produits, nous sommes actifs dans les travaux de chaussées et de génie civil pour la majorité des infrastructures : routes, aéroports, voies ferrées, terrains de sport… Et même pour des équipements plus ciblés comme les courts de tennis. À tout cela viennent s’ajouter des missions de conseil, qui comptent pour une part importante dans notre industrie.
P. I. — On risque de vous objecter que ce large champ d’activités n’est pas très économe en carbone…
T. M. — Nous avons parfaitement conscience des problématiques environnementales. C’est pourquoi, depuis plusieurs années déjà, nous montons en puissance dans les innovations techniques qui permettent de réduire l’empreinte CO2 : la fabrication de chaussées à température ambiante, le chauffage à température moyenne ou encore la régénération des matériaux. Nous progressons en permanence. Actuellement, nous sommes en train de tester un substitut d’émulsion d’origine 100 % végétale.
P. I. — À partir de quel moment TOA Road a-t-elle commencé à s’intéresser à la route solaire ?
T. M. — Les premiers jalons ont été posés il y a un peu plus de deux ans, avec le début des travaux sur la technologie de revêtement Wattway. L’année dernière, nous nous sommes associés à Colas Japan pour postuler conjointement à un appel à manifestation d’intérêt émis par le gouvernement japonais sur « les nouvelles technologies permettant d’améliorer la résilience des aires routières en cas de catastrophes ». Les vents sont porteurs, car une autre manifestation d’intérêt est sur les rails, avec la volonté des pouvoirs publics d’évaluer la durabilité du revêtement solaire routier. Là encore, nous devrions nous porter candidats avec Colas Japan. En attendant, ce n’est pas tout de progresser sur la technologie de la route solaire et de rendre ses avancées tangibles : nous devons aussi continuer à sensibiliser l’ensemble des acteurs sur le potentiel de Wattway. À noter qu’en juin nous avons lancé dans tout le pays la commercialisation du Wattway Pack (NDLR : une solution clé en main qui permet l’autonomie des équipements électriques en bord de voirie).
P. I. — Dans un pays comme le Japon, à quel horizon pensez-vous que la chaussée solaire puisse monter en puissance ?
T. M. — Il n’est jamais facile de fixer des calendriers précis. Je ne sais pas si cela prendra du temps ou pas, mais il est très probable que la route solaire s’implantera durablement au Japon. Pour des raisons qui tiennent tout simplement à la politique énergétique. Si l’on remonte un peu en arrière, on voit que les Japonais ont développé un sentiment très ambivalent vis-à-vis du nucléaire. Cela s’explique d’abord par les destructions d’Hiroshima et de Nagasaki. Cependant, confronté à la rareté des ressources énergétiques sur son territoire, le Japon s’est employé à développer l’atome civil au cours de l’après- guerre. La reconstruction du pays imposait de mobiliser toutes les sources d’énergie disponibles. Et puis est arrivée la catastrophe de Fukushima en mars 2011 : du jour au lendemain, les centrales nucléaires ont cessé de fonctionner et la dépendance aux énergies fossiles a augmenté mécaniquement. Sans doute était-ce inévitable, mais il ne peut s’agir que d’une situation transitoire : le sens de l’Histoire va vers une réduction drastique des émissions de CO2.
P. I. — Plus de dix ans se sont écoulés depuis la catastrophe de Fukushima : va-t-on aujourd’hui vers un rééquilibrage du mix énergétique ?
T. M. — En 2021, le Japon a assuré à la communauté internationale qu’il tiendrait l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon de 2050. La reprise progressive de l’industrie nucléaire s’inscrit dans ce cadre, mais la population japonaise réclame fermement une augmentation de la production d’électricité d’origine renouvelable. Le photovoltaïque répond à cette aspiration, mais pas n’importe quel photovoltaïque. En l’occurrence, le photovoltaïque classique bute sur des obstacles : le Japon est un petit pays composé essentiellement de montagnes, où il est difficile d’artificialiser les sols pour construire des centrales solaires. L’opinion publique y est de plus en plus rétive, à la fois pour des raisons environnementales et à cause des menaces géologiques — notamment, les éboulements de terrain comme celui qui s’est produit l’année dernière dans la région du Kanto. La question de la sécurité se pose aussi pour l’installation de panneaux solaires en toiture : les structures métalliques, surtout si elles sont lourdes, ne peuvent pas être installées sur des bâtiments aux normes antisismiques. D’une manière générale, il ne faut jamais oublier que le Japon est un pays sujet aux catastrophes naturelles.
P. I. — Face à cette recrudescence des catastrophes naturelles, quels sont les schémas énergétiques à privilégier ?
T. M. — Le gouvernement promeut une « politique nationale de résilience ». Les « nouvelles technologies permettant d’améliorer la résilience des aires routières en cas de catastrophes », dont j’ai parlé précédemment, s’inscrivent dans ce cadre, l’objectif étant de maintenir une continuité dans l’alimentation électrique en cas de catastrophe naturelle. Typiquement, il est indispensable de pouvoir garantir le fonctionnement des systèmes de communication sur un site isolé. Autant dire que la technologie de revêtement solaire Wattway est parfaitement appropriée à cette exigence : une technologie à la fois écologique, garante de l’optimisation des espaces et résistante aux catastrophes naturelles. Je reviens à ce que je disais il y a un instant : Wattway a le potentiel pour apporter une solution efficace aux problématiques énergétiques du Japon. En 2025, la ville d’Osaka accueillera l’Exposition universelle. Les défis environnementaux et les efforts mis en œuvre pour y répondre seront au cœur de ce rendez-vous. D’ores et déjà, nous considérons Osaka 2025 comme une étape clé pour le développement de Wattway.