Politique Internationale — Qu’est-ce qu’on appelle exactement le RAP (reclaimed asphalt pavement ou agrégat d’enrobés) ? S’agit-il d’une technique innovante ? En quoi est-ce un gain en termes d’économie circulaire ?
Brent Morrey — Le RAP existe depuis plus de cinquante ans sous forme d’agrégats recyclés utilisés dans les enrobés ; il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une technique innovante. Le principe est simple : l’ancienne chaussée est considérée comme un gisement naturel de granulats (et de bitume) qui peuvent être récupérés sur place. Le procédé consiste à incorporer, au sein du matériau obtenu par scarification de la chaussée, un ciment, un liant hydraulique routier ou un liant hydrocarboné et, éventuellement, un correcteur granulométrique, ainsi que de l’eau, et à les mélanger in situ, ou dans une centrale fixe ou mobile, jusqu’à obtenir un matériau homogène. Il peut également être incorporé dans un poste d’enrobage à chaud, afin de remplacer en partie des granulats de carrière, ainsi que d’aider à valoriser le bitume qu’il contient.
Les avantages en matière d’économie circulaire sont multiples : moins de granulats vierges à transporter — puisqu’on rapproche l’utilisateur de la matière première —, donc une empreinte carbone réduite ; moins d’enrobés bitumineux vierges et, là encore, un meilleur bilan carbone. Autrefois, ces matériaux auraient fini à la décharge, mais aujourd’hui l’enrobé bitumineux est l’un des produits les plus recyclés au monde.
Au début, le RAP était surtout vu comme un moyen de réduire les coûts, mais aujourd’hui ce sont ses avantages environnementaux (notamment la réduction de l’empreinte carbone) qui sont mis en avant.
P. I. — Ces process sont-ils utilisés sur tous les marchés ? Par tous les industriels ?
B. M. — Aux États-Unis, chaque État fixe la quantité de matériaux recyclés qui peuvent entrer dans la composition des différents types d’enrobés à chaud. Par exemple, certaines juridictions n’autorisent pas l’utilisation de RAP dans les bétons bitumineux (l’État de New York, la Californie, la Géorgie et la Pennsylvanie). Dans les formules d’enrobés classiques pour couche de roulement, certains autorisent jusqu’à 30 % de RAP (en Virginie) et, dans les mélanges pour couche de base, d’autres vont jusqu’à 40 % (c’est le cas en Caroline du Sud). En revanche, pour les enrobés pour chaussées aéronautiques, la FAA (Federal Aviation Administration) ne tolère aucun réemploi de matériaux.
Pour obtenir le pourcentage le plus élevé de matériaux retraités, Colas aux États-Unis incorpore un adjuvant lors du recyclage (par exemple, un liant issu du pétrole ou un liant végétal) qui permet de renforcer la durabilité et les performances de la route.
P. I. — À quoi ressemblera le RAP du futur ? Quelles seront les prochaines avancées ?
B. M. — Les progrès futurs consisteraient à rendre les méthodes de « recyclage à froid » aussi performantes que l’enrobage à chaud. Dans une centrale d’enrobage à chaud, on peut utiliser jusqu’à 40- 60 % de fraisats. Ces fraisats sont chauffés puis mélangés à un liant issu du pétrole ou un liant végétal. L’enrobé à chaud recyclé qui en résulte a les mêmes propriétés qu’un enrobé à chaud classique. L’avantage des méthodes de recyclage à froid est qu’elles ne nécessitent pas d’énergie. Nous devons donc développer des procédés qui permettront d’obtenir un mélange recyclé à froid contenant 90 à 100 % de matériaux revalorisés, en couche de roulement ou couche de base, et qui aura les mêmes performances et la même durée de vie qu’un enrobé à chaud classique.
P. I. — Ces technologies induisent-elles un coût supplémentaire ?
B. M. — A priori, les techniques actuelles de recyclage à froid ne sont pas plus coûteuses, mais il est possible que les progrès attendus en termes de performances, notamment la mise au point d’un adjuvant ou d’une huile de fluxage plus efficaces, fassent grimper la note. En tout état de cause, ils resteront moins chers qu’un enrobé à chaud, y compris recyclé. Et leur empreinte carbone sera nettement plus faible (moins de 25 kg de CO2 par tonne).
Aux États-Unis, l’empreinte carbone des matériaux de construction fait l’objet d’un regain d’attention, et tout ce qui permet de la réduire est considéré comme un avantage par le donneur d’ordre.