Après de longues décennies d'étouffement et de persécution, l'islam chiite irakien a retrouvé, au printemps 2003, des accents indéniablement triomphalistes. Le renversement de Saddam Hussein par la coalition américano-britannique semble avoir ouvert la voie à une " revanche " des chiites - ainsi que des Kurdes - sur l'histoire de l'État moderne irakien. Depuis sa création, au début des années 1920, cet État n'avait été qu'un instrument de domination aux mains de la minorité arabo-sunnite. Ce schéma est, sans doute, à jamais révolu. Majoritaires au sein de la population irakienne, les chiites entendent traduire, dans l'Irak post-dictatorial, leur poids démographique en prépondérance politique. Mais la question de la nature de leur représentation politique reste entière. Les chiites d'Irak oscillent entre un " confessionnalisme " à outrance qui ethniciserait l'appartenance religieuse et la revendication d'une " irakité " une et indivisible aux contours encore flous.
Le clergé chiite - pourtant divisé et très affaibli par plus de trois décennies de répression et de stricte surveillance policière - s'est montré prompt à remplir le vide laissé par l'effondrement brutal du pouvoir. Il a su improviser un leader-
ship communautaire destiné, en premier lieu, à empêcher le pays de plonger dans le chaos et l'insécurité. Une promptitude qui a soulevé bon nombre de craintes. Dans les rangs des nouvelles forces politiques irakiennes qui se disputent la scène post-baasiste et, surtout, dans ceux des administrateurs civils et militaires de l'occupation américano-britannique, ce regain de dynamisme des enturbannés et des activistes islamistes en général est perçu comme un frein potentiel à la démocratisation. Comme pour justifier ces appréhensions, l'ayatollah Mohammad Baqer al-Hakim (qui venait de rentrer de son exil iranien) a été assassiné à Nadjaf, fin août 2003. Cet attentat - qui coûta la vie à une centaine d'autres personnes - signifiait-il que l'Irak allait être précipité dans un déchaînement de violence interconfessionnelle et dans un affrontement direct entre les divers mouvements qui se disputent le statut de porte-parole des chiites ?
Avait-on sous-estimé le poids de la religion ? L'Irak risque-t-il de se muer subitement en une théocratie de type khomeinyste alliée à l'Iran, seul pays au monde où le chiisme est érigé en religion d'État ? Va-t-il devenir un péril pour l'Occident ? La guerre américano-britannique n'aurait-elle conduit qu'à remplacer un danger par un autre ? Autant d'inquiétudes amplifiées par le fait que le chiisme irakien, interdit aux regards extérieurs sous Saddam Hussein, est trop souvent perçu - en toute méconnaissance de son histoire, de sa spécificité, des clivages et des divisions qui le parcourent - comme un monde monolithique, nécessairement tourné vers l'Iran.
Mais qui sont, en réalité, les chiites d'Irak ? Leur nombre, leurs chefs, leurs projets, le type de régime qu'ils souhaitent instaurer, leurs relations avec la coalition, leurs liens avec l'Iran : voilà les questions auxquelles cet article s'efforcera d'apporter des éléments de réponse.
Le " printemps " du chiisme irakien
Une longue exclusion du pouvoir
La statue de Saddam Hussein, à Bagdad, venait à peine de chuter que, …
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