Michel Faure - La défense de la liberté a toujours constitué le thème central de vos écrits et de votre action. En 2003, comment jugez-vous sa progression dans le monde ?
Mario Vargas Llosa - L'ennemi le plus constant de la liberté, le communisme, s'est effondré. Malheureusement, sa disparition ne signifie nullement, comme certains l'ont espéré au moment de la chute de l'empire soviétique, que désormais la liberté règne sur la Terre entière. C'est même loin d'être le cas ! Les menaces auxquelles elle est confrontée aujourd'hui sont plus sournoises, moins visibles qu'autrefois. Elles sont incarnées dans une myriade de phénomènes qui vont du terrorisme à une nouvelle contestation des valeurs démocratiques. Les sociétés occidentales avaient pensé que la fin du communisme constituerait, pour elles et pour les valeurs qu'elles défendent, une victoire extraordinaire ; et pourtant, je ne dirais pas que la liberté a sensiblement progressé depuis les dernières années d'existence de l'Union soviétique.
M. F. - Pouvez-vous en dire plus sur ces nouveaux dangers ?
M. V. L. - Il me semble que derrière le mouvement anti-mondialiste se cache, sous un déguisement tout à fait présentable, un ennemi traditionnel et très puissant de la liberté : le nationalisme. Je ne vous apprends rien en rappelant qu'après la Seconde Guerre mondiale il avait été totalement déprécié. Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, les nationalistes, tous plus ou moins fascistes ou néo-fascistes, n'ont joui d'aucun prestige. Et les voilà qui réapparaissent, sous un nouvel aspect ! Ils se présentent comme une force capable de freiner le cosmopolitisme, c'est-à-dire la mondialisation dont profitent, disent-ils, les grandes compagnies transnationales qui veulent fonder un nouveau colonialisme. Un autre ennemi de la liberté se montre très actif depuis quelques années : le fondamentalisme religieux. Il ne s'agit pas seulement de l'extrémisme islamiste. Celui-là, nous l'avons plus ou moins identifié. Mais il existe aussi un autre fondamentalisme, né dans les sociétés occidentales, qui s'incarne dans une réaction paranoïaque aux attentats du 11 septembre. Cette mouvance est, malheureusement, très présente aux États-Unis, y compris au sommet de la vie politique de Washington. Et n'oublions pas l'émergence du fondamentalisme israélien. Depuis sa création, Israël (quelles que soient les critiques dont il faisait l'objet) avait été, avant tout, une démocratie exemplaire. Or, depuis que Sharon, le Likoud et les groupes extrémistes religieux ont constitué une coalition au pouvoir, le fondamentalisme israélien empoisonne la situation - comme le fait, parallèlement, le fondamentalisme palestinien. Si l'on examine le spectre des menaces qui pèsent actuellement sur la liberté, on ne peut donc pas dire que celle-ci ait gagné la partie. Pas encore, en tout cas. Et peut-être ne la gagnera-t-elle jamais.
M. F. - Actuellement, les États-Unis appliquent une politique que l'on appelle souvent " néo-impérialiste " et tentent d'installer la démocratie libérale dans des pays qui ne l'ont jamais connue : l'Afghanistan et l'Irak. Selon vous, la force peut-elle imposer la liberté ?
M. V. L. - La force, oui. L'impérialisme, je ne crois pas. Au lendemain de la …
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