Les Grands de ce monde s'expriment dans

ARAFAT: LE COMMENCEMENT DE LA FIN

Pierre Joannon - Saïd Aburish, bien que vous soyez né en Palestine et que vous restiez très marqué par vos origines, vous avez opté pour la citoyenneté américaine. N'éprouvez-vous pas quelques difficultés à concilier ces deux allégeances ?
Saïd Aburish - Vous touchez là un point sensible ! Je ne saurai dissimuler le fait qu'il m'est de plus en plus difficile d'être à la fois un Palestinien engagé et un citoyen modèle des Etats-Unis d'Amérique. C'est un phénomène récent. Il n'en a pas toujours été ainsi. Naguère, même en période de vives tensions, on était libre de s'exprimer, d'approuver ou de désapprouver la politique du gouvernement américain. Depuis le 11 septembre, il est indéniable que la tolérance à l'égard des opinions dissidentes s'est rétrécie comme une peau de chagrin. " Qui n'est pas avec nous est contre nous " : on nous somme de choisir. Il en résulte un conflit d'allégeance que les gens comme moi essaient de gérer du mieux possible. Nous défendons l'espace de liberté démocratique qui nous autorise à revendiquer notre double appartenance sans avoir à renier une partie de nous-mêmes en nous ralliant à un camp au détriment de l'autre.
P. J. - Après avoir brossé un portrait extrêmement critique de Saddam Hussein, vous venez de publier une biographie sans complaisance de Yasser Arafat. En tant que Palestinien, comment vous situez-vous par rapport à votre sujet ?
S. A. - Certains membres de ma famille l'ont côtoyé de près. Mon grand-père maternel, Cheik Mousa Shahine, juge à la Haute Cour de Palestine, membre du Conseil suprême islamique et proche conseiller du Grand Mufti de Jérusalem Hadj Amine el-Husseini, a bien connu Arafat au Caire lorsque celui-ci s'employait à rendre de menus services à la cause palestinienne. A l'école du Grand Mufti, Yasser Arafat a beaucoup appris : l'impérieuse nécessité de contrôler les finances du mouvement, tant il est vrai que c'est par l'argent que l'on tient les hommes ; l'absence totale de convictions, qui permet de s'allier à n'importe qui au gré de l'intérêt du moment ; l'art de diviser pour régner et d'éliminer tous les rivaux potentiels ; et l'acharnement à transformer un problème israélo-arabe en conflit israélo-palestinien à seule fin d'asseoir un pouvoir personnel sans limite - celui du Grand Mufti hier, celui d'Arafat aujourd'hui.
P. J. - Votre père est en partie responsable de la notoriété médiatique d'Arafat...
S. A. - C'est exact. Natif du village de Béthanie, où j'ai moi-même vu le jour, mon père, Abu Saïd Aburish, était correspondant de Time Magazine en 1968. A l'époque, personne ne connaissait Arafat, qui était membre de la direction collégiale et chef militaire du Fatah sous couvert de l'OLP. Le 21 mars 1968, il se fit remarquer à la bataille de Karameh. Avec un indéniable courage, il a galvanisé la résistance des Palestiniens à une offensive israélienne dans laquelle étaient engagés près de quinze mille soldats. Grâce à leur talent d'improvisation et à une ardeur au combat qui avaient cruellement fait défaut en 1948 …