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BOLIVIE: LA REVOLTE DES SANS-VOIX

La Bolivie a connu, en octobre 2003, une de ces poussées de fièvre plus ou moins violentes qui jalonnent, depuis cent quatre-vingt-neuf ans, la vie politique du pays. Depuis l'indépendance, plus de deux cents coups d'Etat, soulèvements et autres crises ont ébranlé cet Etat déshérité d'Amérique latine, dont 70 % des 8,5 millions d'habitants vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Selon le décompte officiel, la " guerre du gaz " a fait 59 morts et 411 blessés. Elle a coûté son poste au président Sanchez de Lozada qui, sous la pression de la rue, a dû céder sa place à son vice-président, Carlos Mesa.
Le mouvement populaire né le 8 octobre à El Alto - une cité-dortoir de la banlieue de La Paz, la capitale économique du pays - protestait contre la décision du gouvernement de vendre le gaz naturel bolivien aux Etats-Unis et au Mexique en passant par le Chili. En fait, l'affaire du gaz a servi de détonateur à une profonde crise ethnique, sociale et économique qui couvait depuis 1985, année du lancement des réformes libérales soutenues par le Fonds monétaire international (FMI).
Loin de permettre à la Bolivie de sortir du marasme, ces initiatives (privatisation des entreprises publiques et des mines ; modernisation du secteur gazier et pétrolier) n'ont fait qu'aggraver la situation. L'économie repose sur deux piliers : une agriculture incapable de nourrir la population et des richesses naturelles dont l'exploitation bénéficie exclusivement à quelques grandes familles et à une poignée de multinationales. C'est avec ce schéma né du modèle néolibéral imposé par les Etats-Unis et le FMI que les Boliviens veulent rompre.
Le faux Eldorado des minerais
Argent, or, étain, zinc, gaz, pétrole : la Bolivie vit de son sous-sol. Ou plutôt survit. Selon un dicton bolivien, " un mineur doit toujours être salué au pluriel, afin de ne pas offenser le diable qui l'accompagne ". Cet humour cruel trouve son origine dans une réalité féroce qui tient quasiment de la malédiction : tous ceux qui veulent extraire les richesses du sous-sol vivent dans des conditions infra-humaines. Dans son ouvrage Les Veines ouvertes de l'Amérique latine, Eduardo Galeano raconte la fascination exercée sur l'Inca par les tonnes d'argent enfermées dans la colline de Potosi. Mais lorsque les mineurs plantèrent leur silex dans la montagne, une voix caverneuse les mit en garde : " Ce n'est pas pour vous, Dieu réserve ces richesses à ceux qui viennent de très loin. "
La voix avait raison. En 1544, Diego Hualpa, un Indien pauvre, fit savoir qu'il avait découvert de l'argent dans les entrailles d'une montagne proche de Potosi, citée andine perchée à 4 000 mètres d'altitude. Très vite, le lieu attira les aventuriers de tout poil. Alerté à son tour, Charles Quint signa, en 1545, à Ulm un décret qui élevait Potosi au rang de ville impériale et organisait l'extraction du minerai. En 1650, le plus vaste gisement d'argent du monde représentait 90 % des exportations de la Bolivie, pour la plus grande fortune de Madrid et …