Jusqu'à la toute dernière minute, l'issue de la prochaine élection présidentielle algérienne (prévue pour fin mars-début avril) restera incertaine, tant le " système " algérien échappe à la compréhension du commun des mortels. La tournure qu'ont pris les événements à la fin 2003 laisse tout imaginer. Le 30 décembre, les activités et les avoirs du Front de libération nationale, majoritaire à l'Assemblée nationale, ont été " gelés " par le tribunal administratif d'Alger. Motif : une action judiciaire engagée par une cinquantaine de militants du FLN contre le 8e congrès qui s'était tenu en mars et qui avait donné les pleins pouvoirs à Ali Benflis.
En prononçant ce verdict, à trois mois du scrutin présidentiel, le tribunal administratif a créé une vive émotion. Sous son habillage juridique, ce " gel " du FLN est éminemment politique. Il vise à amoindrir les chances d'Ali Benflis d'accéder à la tête de l'Etat. Sauf retournement de situation, imprévisible mais toujours possible, Benflis ne peut plus, en effet, concourir sous les couleurs du FLN, ni utiliser les fonds du parti. Il devra se présenter en indépendant, ce qui constitue un handicap majeur face à un président-candidat déjà en place.
Si ce contexte n'achève pas de décourager les éventuelles vocations, une petite dizaine de postulants devraient se retrouver en compétition, sans passion et sans illusions, au printemps. Parmi eux, le docteur Ahmed Taleb Ibrahimi, chef du parti Wafa (arabo-nationaliste, proche de la mouvance islamiste, non reconnu), qui était le plus sérieux rival d'Abdelaziz Bouteflika lors du scrutin de 1999. Abdallah Djaballah, le leader du parti islamiste El Islah (agréé) devrait également être du nombre, de même que l'ancien premier ministre Ahmed Benbitour ou encore l'" enfant terrible " de l'armée algérienne, le général à la retraite et opposant Rachid Benyellès. Mais c'est Ali Benflis, déterminé à se maintenir dans la course contre vents et marées, qui restera jusqu'au bout le principal obstacle à une réélection du président sortant.
Agé de 59 ans, né à Batna, dans l'est du pays, cet ancien magistrat devenu avocat, cofondateur de la Ligue des droits de l'homme (LADH), réputé pour son intégrité, se situe à l'opposé du président Bouteflika. Autant le chef de l'Etat - originaire de l'Ouest - est un personnage flamboyant, impatient, tyrannique, persuadé de son destin messianique, autant Benflis, chaouï (Berbère des Aurès), est réservé, courtois, complexe.
L'année 2003 aura été marquée par la bataille fratricide entre les deux hommes, sur fond de régionalisme exacerbé. Début janvier, le président n'avait toujours pas confirmé officiellement son intention de se succéder à lui-même, mais cette hypothèse paraissait probable. Ali Benflis, lui, s'était dévoilé des mois auparavant - sans doute trop tôt -, s'attirant les foudres du clan présidentiel. Jamais, à la présidence, on n'avait imaginé que ce fidèle serviteur d'Abdelaziz Bouteflika - dont il fut le directeur de campagne en 1999, puis le directeur de cabinet à la présidence de la République, avant de devenir chef du gouvernement - pût entrer en concurrence avec la "figure du père", un homme auquel il était supposé "devoir tout", y compris sa nomination à la tête du FLN en septembre 2001. Certes, Benflis passait pour être le dauphin de Bouteflika, mais il semblait acquis que son heure ne sonnerait pas avant le scrutin de 2009.
Fort du succès du FLN qu'il avait conduit à une victoire inespérée à deux reprises en 2002, Ali Benflis allait pourtant rompre ce pacte tacite et s'engager sans attendre son tour. Pour le président Bouteflika, ce fut un choc, une faute impardonnable. D'où la férocité des représailles engagées contre le " traître ".
Cette nouvelle version de César et Brutus s'est jouée en plusieurs actes tout au long de 2003. Fin mars, le 8e congrès du FLN plébiscite Benflis au poste de secrétaire général du parti et le consacre seul maître à bord, avec des prérogatives élargies, presque exorbitantes. Ses détracteurs - essentiellement des partisans du chef de l'Etat - se voient, pour leur part, exclus ou marginalisés. Cette purge va alimenter la rancœur, pour ne pas dire la haine, de tous ceux que Benflis avait déjà écartés des listes électorales lors des législatives et des municipales de 2002, ainsi que les mécontents des précédents congrès du FLN (en particulier, les partisans de l'ancien premier ministre réformateur, Mouloud Hamrouche). Dans le même temps, éclate au grand jour la rivalité entre le président Bouteflika et son chef de gouvernement, ce dernier refusant d'apporter la caution du parti au chef de l'Etat pour un second mandat.
Après des semaines de crise, Benflis est limogé le 5 mai. Il est remplacé par un grand commis de l'Etat, l'ex-premier ministre Ahmed Ouyahia, un Kabyle, issu non pas du FLN mais du Rassemblement national démocratique, deuxième parti, en nombre de sièges, à l'Assemblée nationale.
La suite de la guerre entre Bouteflika et Benflis se concentre autour du FLN et de sa prise de contrôle, y compris par voie de justice. Implanté dans toute l'Algérie, disposant de multiples relais à travers une kyrielle d'associations de terrain, le vieux parti hérité de la guerre de libération constitue un atout maître dans la course à la présidence de la République. Aussi, les partisans du chef de l'Etat vont-ils s'employer à alimenter la fronde, tout en réclamant l'invalidation du 8e congrès.
Contraints d'adopter un profil bas, de peur d'une dissolution de l'Assemblée nationale et de législatives anticipées (qui ne leur seraient peut-être pas aussi favorables que les précédentes), les " loyalistes " du FLN vivent une fin d'année difficile.
Contrairement à ce qui s'était passé en 1999, l'armée s'est gardée d'afficher sa préférence pour tel ou tel candidat. Il est de notoriété publique qu'Abdelaziz Bouteflika l'a déçue, mais rien n'assure que le président sortant ne sera pas, cette fois encore, considéré par elle comme le " candidat du moindre risque ". La hiérarchie militaire ne cesse de répéter qu'elle est " neutre " dans l'élection de 2004, ce qui est contesté à Alger. En permettant au président en place d'utiliser à sa guise la justice, l'intérieur, les finances et les médias publics notamment, elle apporte de facto un soutien passif à M. Bouteflika, ce que les autres candidats dénoncent avec vigueur, au point qu'il ne faut pas exclure qu'ils se retirent en bloc de la compétition, à la veille du scrutin.
La population, elle, ne croit plus en rien. Accablée par des problèmes de survie quotidienne (eau, emploi, logement...), elle se désintéresse de ces élections, persuadée qu'elle n'a aucune prise sur son destin et qu'il ne lui reste qu'un recours possible : l'émeute...
Florence Beaugé - Le FLN est en crise. Le 8e congrès, qui vous a reconduit dans vos fonctions de secrétaire général en mars 2003, a été invalidé fin décembre par le tribunal administratif d'Alger, à la suite d'un recours déposé par un groupe de contestataires baptisé " mouvement de redressement ". Quelle est votre réaction ?
Ali Benflis - Le putsch judiciaire qui m'a visé n'a en rien altéré ma détermination, bien au contraire. Il a eu sur moi un effet dopant. Mes difficultés présentes me renforcent dans ma conviction de devoir lutter et d'aller jusqu'au bout pour rendre aux Algériens leurs libertés publiques confisquées le temps d'un mandat. Autrement dit, je suis plus que jamais candidat à l'élection présidentielle du printemps prochain.
F. B. - Deux tendances se disputent depuis des mois le contrôle du FLN. Quel est l'état des forces au sein du parti aujourd'hui ?
A. B. - La majorité des militants et des élus du FLN sont restés fidèles à la ligne du parti. Une petite minorité, il est vrai, a rejoint ce que vous nommez le " mouvement de redressement ". Mais ce mouvement ne rassemble pas de vrais militants ; il n'est constitué que de sous-traitants à la solde de l'administration et du président-candidat. Ces " redresseurs " sont, en réalité, des chargés de mission qui n'ont ni projet, ni programme, ni convictions. Ils ne défendent pas d'idées.
F. B. - Il n'empêche que ces " minoritaires " ont obtenu l'invalidation du 8e congrès et, par voie de conséquence, la suspension des activités du FLN et le gel de ses avoirs !
A. B. - La décision rendue par le tribunal administratif d'Alger est un véritable coup de force judiciaire qui intervient juste après l'épisode de la " justice de la nuit ". Outre le fait qu'ils disqualifient pour longtemps une justice déjà en mal de crédibilité, ces deux événements renseignent surtout sur la personnalité du président-candidat : celui-ci n'hésite pas à sacrifier les institutions pour assouvir ses ambitions personnelles. Certes, M. Bouteflika nous avait habitués à la manipulation des institutions mais, cette fois-ci, il est allé trop loin. En décembre, l'instrumentalisation de la justice a été portée à un degré jamais atteint depuis l'indépendance de l'Algérie ! Car la décision du tribunal administratif est intervenue moins de trois mois après que le Conseil d'Etat eut rendu un arrêt de principe dans lequel il prononçait l'incompétence de telles juridictions à statuer sur les litiges internes aux partis politiques, comme c'est le cas en l'espèce.
F. B. - Vous saviez que le président Bouteflika était disposé à briguer un second mandat. Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans la compétition, sans attendre le scrutin de 2009 ?
A. B. - J'aurais attendu, évidemment, s'il ne s'agissait que de satisfaire une ambition personnelle, mais le peuple algérien peut-il encore patienter cinq ans, lui qui aspire à vivre à l'ère de la paix civile, de la bonne gouvernance et des libertés ? Ceux qui souffrent du chômage, …
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