Les Grands de ce monde s'expriment dans

DST: SERVICE SECRET OU SERVICE DISCRET ?

Il n'est pas une rentrée littéraire, en France, sans qu'un ouvrage plus ou moins sulfureux consacré aux activités de la DST (Direction de la surveillance du territoire) ne trouve sa place sur les présentoirs des librairies. Placé sous l'autorité du ministre de l'Intérieur, au sein de la Direction générale de la police nationale, ce service de renseignement chargé du contre-espionnage suscite bien des fantasmes, certainement plus qu'il ne recèle de secrets. En prenant sa tête, en juillet 2002, Pierre de Bousquet de Florian a, en tout cas, décidé de jouer la carte de la transparence. Ce faisant, ce grand commis de l'Etat, issu des rangs de l'ENA, ne cherche pas à briser l'imaginaire des lecteurs de romans d'espionnage. Il est en effet persuadé que ce souci d'ouverture, loin de nuire à l'efficacité de son service, le renforcera. En cette période troublée, où les attentats spectaculaires visant les intérêts occidentaux ou les communautés juives à travers le monde se succèdent sur un rythme soutenu, cette évolution intrigue à juste titre. Depuis sa nomination, le directeur de la DST a accordé plusieurs interviews à la presse. Mais jamais il ne s'était confié aussi longuement que dans l'entretien que nous publions ci-dessous.

Plus de trois ans après le choc des attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme international constitue plus que jamais la priorité des services occidentaux. La multiplication des attentats au cours de ces derniers mois - en Tunisie, au Maroc, en Turquie, au Pakistan ou encore en Indonésie - représente un redoutable défi pour la communauté internationale entière : comment neutraliser les groupes liés au réseau Al Qaïda, ou qui revendiquent son patronage, sans s'écarter des règles du droit ?

Il y a à peine vingt ans, les pays occidentaux combattaient encore les visées déstabilisatrices de l'ennemi idéologique numéro un, le communisme. Après la chute du mur de Berlin, l'ex-" monde libre " a pu croire, un temps, aux prédictions de Francis Fukuyama sur la " fin de l'Histoire ". Cette illusion aura été de courte durée : au-delà de divisions ponctuelles comme celles qui ont opposé le " camp de la paix " aux "interventionnistes" sur la question de l'Irak, le monde occidental fait face à un même ennemi. Un adversaire sans doute plus difficile à combattre que le défunt bloc soviétique car, comme le souligne ici le patron de la DST, il n'est point de négociation possible avec lui. Une chose est sûre : cette nouvelle donne a, incontestablement, replacé les services de renseignement au cœur des préoccupations des gouvernants.

Avec une grande franchise, Pierre de Bousquet de Florian évoque les menaces qui pèsent sur l'Hexagone. Il décrit les nouveaux visages du terrorisme international et détaille les récentes affaires dans lesquelles la DST a joué un rôle de premier plan. Il n'esquive aucune des questions sensibles que nous avons souhaité lui poser. Quel est l'état de la coopération avec les services américains ? Une intégration accrue du renseignement au sein de l'Union européenne est-elle envisageable et souhaitable ? Les pays placés dans l'"Axe du mal" par George W. Bush et ceux qui ont été récemment stigmatisés pour leur attitude ambiguë envers le terrorisme international sont-ils réellement passés à l'action contre les "djihadistes" ? L'intervention anglo-américaine en Irak va-t-elle se traduire par une multiplication des attentats visant des intérêts occidentaux, comme le craignaient avant la guerre les responsables politiques français, ou peut-elle, au contraire, affaiblir durablement les structures terroristes internationales ? Pierre de Bousquet de Florian s'explique également en profondeur sur les évolutions qu'il souhaite imprimer à son service, notamment en ce qui concerne le renseignement économique, traditionnellement délaissé dans l'Hexagone.

Animé par ce souci de convaincre ses concitoyens que la DST doit être un " service discret ", et pas seulement un "service secret", ce proche du président Jacques Chirac est guidé par une ligne de conduite très simple : inscrire constamment l'action des services de renseignement au sein du cadre républicain. Pour cet admirateur des Duplessis-Mornay et autres Rohan qui, sous la monarchie, dans une France divisée par les guerres de religion, manifestèrent brillamment leur sens de l'Etat, c'est là une question de principe.

Thomas Hofnung - Depuis votre nomination, en 2002, vous vous plaisez à répéter que la DST est un " service discret " plutôt qu'un " service secret ". Pourquoi un tel souci de transparence, qui rompt quelque peu avec la confidentialité traditionnelle de cette maison ?

Pierre de Bousquet de Florian - Je voudrais faire évoluer la vision que les Français se font du renseignement. Dans notre pays, même s'ils fascinent, les services de renseignement ont plutôt mauvaise presse. Depuis l'affaire Dreyfus, ils sont affublés d'une étiquette sulfureuse, un peu honteuse. Peut-être n'ont-ils pas été exempts de tout reproche dans des époques anciennes. Mais je veux être très clair : aujourd'hui, la DST, à l'instar des autres services nationaux, agit dans le cadre des lois et des règlements de la République. Les Français sont adultes. Ils peuvent comprendre ce que nous faisons pour leur sécurité, comment nous le faisons, et au nom de quoi. Et nous sommes fiers de notre mission, qui est une saine et légitime mission de défense. Bien entendu, comme dans tout service de police, le détail de nos opérations doit demeurer secret. En revanche, les grands objectifs qui nous sont fixés doivent être connus du grand public. Ma conviction, c'est que cette " lisibilité " ne peut que renforcer notre efficacité. Elle permettra à davantage de gens de s'adresser à nous, de nous apporter des informations et de nous signaler leurs préoccupations alors qu'aujourd'hui beaucoup de Français savent encore mal ce qu'est la DST et à quoi elle sert. De plus, s'ils cherchaient à nous joindre, ils pourraient encore avoir quelque peine à trouver notre numéro de téléphone dans l'annuaire... Je trouverais juste que notre image corresponde mieux à la modernité de notre travail et de nos méthodes ainsi qu'à la rigueur, notamment éthique, des professionnels de mon service.
T. H. - En dehors des entretiens que vous avez accordés à la presse, de quelle manière avez-vous procédé pour améliorer la transparence de votre institution ? Et, question en forme de corollaire, avez-vous déjà recueilli les fruits de cette nouvelle attitude ?
P. B. F. - C'est très simple. Nous essayons de donner aux journalistes les éclairages dont ils ont besoin pour leur travail. Et nous multiplions les interventions présentant nos activités devant les publics ciblés qui nous semblent les plus intéressants à sensibiliser : étudiants, chefs d'entreprise, hauts fonctionnaires et relais d'opinion divers.
T. H. - Qui sont les principaux adversaires que vous combattez et où sévissent-ils ?
P. B. F. - Nos adversaires sont différents selon nos activités. Vous savez que nous nous occupons de contre-espionnage, mais aussi d'anti-terrorisme et de protection du patrimoine. Pour ce qui concerne la première de ces préoccupations, qui est notre métier d'origine, nous ne redoutons plus, comme cela pouvait être le cas il y a encore trente ans, des menées étrangères pouvant mettre en péril l'indépendance de notre pays. Pour autant, nous considérons que de nombreux Etats - y compris nos meilleurs amis - sont susceptibles, un jour, …