Début décembre, à la demande du tribunal international sur la Sierra Leone, l'Organisation internationale de police criminelle, mieux connue sous le sigle d'Interpol, émettait une " notice rouge " contre Charles Taylor, l'ancien président du Liberia, réfugié au Nigeria depuis l'été dernier. Ce document - qui consiste à élargir aux 181 Etats membres d'Interpol un mandat d'arrêt lancé par l'un d'entre eux - a été transmis en temps réel à tous les services de police concernés, via le système ultra-sophistiqué de communications cryptées I-24/7.
Des documents de ce type, Interpol en envoie quasiment tous les jours à ses correspondants à travers le monde depuis son siège de Lyon, où elle est installée dans des locaux spacieux et modernes avec vue sur le Rhône. Mais Charles Taylor n'est pas le premier venu. En tant qu'ancien chef rebelle et ancien président du Liberia, il a joué un rôle actif et dévastateur dans les guerres qui ont ravagé, ces dernières années, son pays, mais aussi la Sierra Leone et la Côte-d'Ivoire. Le mandat d'arrêt émis contre lui illustre bien le fait qu'Interpol, institution apolitique, est parfois contrainte d'agir à l'encontre de dirigeants politiques.
Depuis sa création, en 1923, cette organisation unique en son genre, dont la vocation est de promouvoir la coopération transfrontalière entre les polices de ses Etats membres, flirte en effet constamment avec la politique. Et cela, malgré sa Charte fondatrice qui lui interdit de s'impliquer dans des affaires à caractère politique, religieux, militaire ou racial.
Les attentats du 11 septembre 2001 ont placé au centre des préoccupations internationales la menace globale du terrorisme, brouillant un peu plus encore la frontière déjà floue qui sépare le criminel du politique. Tout en réaffirmant sa neutralité, Interpol, dirigée pour la première fois de son histoire par un non-Européen, l'Américain Ronald K. Noble, s'est saisie de cette question avec vigueur. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, le secrétaire général consacre une large part de ses commentaires à la question cruciale du terrorisme. Il n'en rappelle pas moins un paradoxe : les services de police du monde entier restent avant tout préoccupés par les affaires criminelles ordinaires, celles qui ont trait au vol de voitures, de papiers d'identité ou aux contrefaçons. Mais ce paradoxe n'est qu'apparent. Car, comme le souligne Ronald Noble, un vol de voiture ou de passeport peut très bien servir à commettre un acte terroriste. C'est précisément ce qui s'est passé, explique-t-il, lors de l'assassinat, en mars dernier, du premier ministre serbe Zoran Djindjic.
Nommé à la tête d'Interpol en novembre 2000 pour un mandat de cinq ans, cet éminent juriste a amorcé de nombreuses réformes visant à améliorer le fonctionnement de l'organisation. Considérée jadis par la plupart des experts comme la " belle endormie ", celle-ci a entrepris, sous la houlette de Ronald Noble, une modernisation radicale pour rattraper son retard.
Depuis sa création, Interpol a connu une histoire des plus tumultueuses. Dans les années 1930, elle a été accusée d'avoir participé à la chasse aux Tsiganes à travers l'Europe. Installée à l'origine à Vienne, en Autriche, elle ne s'est pas sabordée après l'Anschluss (1938). Rapidement, les nazis transférèrent son siège à Berlin, plaçant l'organisation sous la tutelle du général Reinhard Heydrich, le chef d'orchestre de la solution finale. Ayant survécu à cette passe pour le moins trouble de sa courte histoire, Interpol se donna comme dirigeant, dans les années 1960, l'Allemand Paul Dickopf. Cinq ans plus tard, on découvrit que ce dernier avait été un membre de la SS...
Aujourd'hui, dans un monde globalisé, Interpol apparaît plus que jamais nécessaire. Angoissé par la possibilité que la planète puisse connaître un nouveau 11 septembre encore plus sanglant que le premier, Ronald Noble confie ici ses espoirs et ses attentes, sans dissimuler les cauchemars qui hantent ses nuits. Les criminels font preuve d'une imagination sans bornes, obligeant les Etats à s'adapter aux nouvelles formes de menaces. Sur les bords du Rhône, le secrétaire général d'Interpol, entouré de son équipe d'experts, joue un rôle de vigie. Une responsabilité qui ne connaît pas de temps mort.
Thomas Hofnung - Monsieur le secrétaire général, vous avez pris les rênes d'Interpol en novembre 2000. Moins d'un an plus tard, le 11 septembre 2001, Al Qaïda frappait les Etats-Unis. Ces attentats ont-ils modifié en profondeur le travail de votre agence ?
Ronald Noble - Lorsque j'ai présenté ma candidature à la direction de cette organisation, l'un de mes objectifs fondamentaux consistait à transformer Interpol en une structure capable d'agir en temps réel. Depuis ma nomination à ce poste, le 3 novembre 2000, nous n'avons cessé de travailler en ce sens afin d'être opérationnels 24 heures sur 24, sept jours sur sept, prêts à assurer la traduction et la transmission immédiates de ce que nous appelons les " notices rouges ", c'est-à-dire des documents qui répercutent auprès de tous nos pays membres les mandats d'arrêt émis par chacun d'entre eux. Il se trouve que nous avions prévu de rendre publique cette évolution le 17 septembre 2001. A la suite des attentats, nous avons bien évidemment décidé d'avancer la date de cette annonce, qui a finalement eu lieu le lendemain même, le 12 septembre. En quelque sorte, nous étions déjà préparés au type d'intervention que le 11 septembre allait exiger. Mais il faut reconnaître que, comme la plupart de nos collègues, nous n'avions absolument pas prévu un tel événement.
T. H. - Depuis le début de votre mandat, vous avez introduit un certain nombre de changements d'ordre technologique avec, entre autres innovations, la création d'un système de transmission baptisé "I-24/7"...
R. N. - En réalité, la première chose que j'ai tenté de modifier a été la philosophie même d'Interpol. Avant que je ne devienne secrétaire général, elle fonctionnait comme une institution administrative classique, avec des horaires de travail fixes - du lundi au vendredi, de 8 heures à 18 heures - alors que nos "clients", les pays membres, étaient, quant à eux, opérationnels nuit et jour. Or, si nous voulons être une organisation globale qui soutient efficacement les polices du monde, il nous faut être prêts globalement. Pour ce faire, nous avions besoin de collaborateurs présents 24 heures sur 24, prêts à recevoir des messages et à répondre à des urgences dans l'une de nos quatre langues officielles. Nous avons donc recruté, au sein de notre Centre de contrôle et de coordination, des personnes trilingues parlant français, anglais, espagnol et arabe, selon différentes combinaisons. C'est dans ce même souci de réactivité que j'ai souhaité mettre en place le système de communication que vous avez mentionné, le I-24/7. Puisque nos agents sont désormais sur place à toute heure, ils ont besoin d'un système crypté qui leur permette de partager des informations rapidement et en toute sécurité. Nous travaillons à son installation depuis plusieurs mois.
T. H. - Le 11 septembre 2001 n'a-t-il pas changé la hiérarchie de vos priorités ? Concrètement, n'a-t-il pas propulsé la menace terroriste au sommet de vos préoccupations ?
R. N. - C'est l'une des questions les plus épineuses qui soient. Depuis ma nomination, j'ai voyagé dans pas …
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