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L'IMPASSE EUROPEENNE

Par Europe on entend aujourd'hui non pas tant l'espace géographique aux frontières mal définies qui s'ouvre à l'est sur les vastes étendues de l'Asie centrale que l'entreprise de coopération économique et politique entre plusieurs Etats du continent, initiée à la fin des années 1950 sous l'égide américaine dans le contexte de la guerre froide. Depuis lors, le contenu de cette coopération a sensiblement évolué. Au départ essentiellement économique, orientée vers le développement d'un marché commun, c'est-à-dire d'un espace de libre-échange régional, elle a pris un tour essentiellement politique. Après la mise en place d'une monnaie unique, la Constitution européenne devrait entériner la construction d'un Etat fédéral destiné à se superposer aux Etats nationaux existants. Semble ainsi se réaliser le dessein en forme de trajectoire que définissait Jean Monnet lors de la création, relativement modeste, du pool charbon-acier il y a plus d'un demi-siècle : " Une cause, la paix. Un chemin, l'économie. Une visée, un fédéralisme européen. "
Malheureusement pour les partisans de ce projet, les conditions de l'environnement économique, politique et plus généralement organisationnel ont, elles aussi, radicalement évolué dans les dernières décennies du XXe siècle. De favorables à la construction d'un nouveau grand Etat continental qui aurait été comparable aux Etats-Unis et supérieur en dimension humaine et économique à la Russie, elles sont devenues résolument antinomiques de toute construction de ce genre.
Mais les esprits sont en retard sur les faits et n'assimilent que lentement les nouvelles réalités. De plus, ceux qui ont investi leur temps, leur énergie et leur carrière dans la vision typiquement XXe siècle des Etats-Unis d'Europe ne peuvent accepter sans quelque résistance de passer par profits et pertes leur idéal et leurs intérêts. Résultat : le lobbying permanent en faveur de la " construction européenne ", généreusement subventionné par les gouvernements nationaux, et la recherche incessante de nouvelles initiatives visant à la faire progresser poursuivent sur leur erre alors même que les courants dominants se sont inversés. L'orthodoxie européenne, constituée en pensée unique, continue à peser sur tous les discours officiels en dépit des discordances, difficultés et craquements divers qui accablent, à des degrés variables, les économies du continent et corrodent insidieusement les pratiques démocratiques nationales.
Cette Europe fait aujourd'hui fausse route. Dans l'histoire des nations et des institutions comme dans celle des entreprises ou des individus, tout n'est pas possible à tout instant, ni même souhaitable. La volonté politique si souvent invoquée comme deus ex machina de l'Histoire se heurte aux limites des contraintes objectives. Or l'évolution de ces dernières rend aujourd'hui la construction d'un grand Etat continental hautement improbable. Des politiques typiquement régaliennes comme la création d'une monnaie unique - qui nécessite pour sa survie de moyen terme le soutien fondamental d'une autorité politique unique - se révèlent délétères lorsqu'on les pratique isolément et, finalement, fragiles parce que sources de conflits entre Etats membres.
Pourquoi l'euro est délétère
Le projet initial de construction européenne, celui du marché commun, constituait incontestablement une bonne politique, qui répondait aux vertus classiques et abondamment analysées du …