Au mois d'octobre 2003, un enregistrement sonore attribué à l'Egyptien Ayman al-Zawahri, considéré comme le bras droit d'Oussama Ben Laden, appelait à renverser le chef de l'Etat pakistanais, le général Moucharraf. Cet enregistrement confirmait les sentiments d'Al Qaida à l'égard d'Islamabad. La nébuleuse islamiste ne pardonne pas à Pervez Moucharraf de s'être rangé derrière les Etats-Unis et la plupart des démocraties mondiales dans la guerre contre le terrorisme international, déclarée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Elle ne lui pardonne pas, non plus, les nombreuses rafles policières qui ont permis, depuis deux ans, de démanteler plusieurs cellules terroristes présentes au Pakistan. Des centaines de militants ont été remis aux autorités américaines. L'une des opérations les plus spectaculaires a été réalisée à Karachi avec l'aide de policiers du FBI, à la date symbolique du 11 septembre 2002. Ce jour-là, deux " djihadistes " ont été abattus, et une douzaine d'islamistes arabes arrêtés sans opposer de résistance. Pervez Moucharraf devient alors l'homme à abattre.
Le 14 décembre 2003, alors que Pervez Moucharraf rentre chez lui à Rawalpindi, la ville jumelle d'Islamabad où se trouve aussi le quartier général de l'armée pakistanaise, un pont est détruit par une explosion quelques secondes à peine après le passage du cortège présidentiel. Cet attentat est aussitôt attribué aux islamistes proches des Talibans et d'Oussama Ben Laden, même si plusieurs analystes font observer que la liste des ennemis du président est loin de se limiter aux seuls fanatiques religieux : des militaires et des policiers liés aux milieux extrémistes y côtoient des membres des services secrets militaires (l'ISI), des chiites, des indépendantistes cachemiris aussi bien que des barbouzes à la solde du gouvernement indien... La thèse du complot islamiste semble néanmoins la plus probable. Deux jours auparavant, à l'occasion d'un discours prononcé pour le lancement d'un nouveau sous-marin, le général Moucharraf déclarait : " Nous ne faisons pas face à un ennemi extérieur ; notre plus grande menace est intérieure ; elle vient des extrémistes et du terrorisme. "
La tentative d'assassinat du 14 décembre est la deuxième qu'a subie le président Moucharraf, après un premier attentat en avril 2002 à Karachi - la deuxième officiellement reconnue, mais pas la dernière. Onze jours plus tard, en effet, le jour même de Noël, deux kamikazes, qui avaient pris place à bord de deux voitures différentes, jetaient leurs véhicules contre le convoi présidentiel. Une fois de plus, Pervez Moucharraf s'en sortait indemne, mais quatorze personnes mouraient dans l'explosion. Quelques heures plus tard, il apparaissait à la télévision, calme et résolu, pour dire sa volonté de " combattre ces extrémistes. Ce sont des lâches, mais ma détermination est ferme et j'ai une foi totale en Dieu ".
Porté au pouvoir le 12 octobre 1999 par un putsch militaire - le quatrième coup d'Etat en une cinquantaine d'années -, le général Moucharraf, qui s'est auto-proclamé " président de la République islamique du Pakistan " en 2001, apparaît désormais comme le dernier rempart contre la vague islamiste qui semble submerger son pays. Un rempart bien fragile : après avoir été élu pour cinq ans lors d'un référendum très contesté en mai 2002, il doit expliquer à ses concitoyens traditionnellement très anti-américains le changement de cap de sa politique. Jusqu'à l'automne 2001, le Pakistan s'était toujours montré bienveillant envers les mouvements islamistes les plus durs. Il était même le seul pays, avec l'Arabie saoudite, à reconnaître le régime des Talibans mis en place à Kaboul par le mollah Omar avec le soutien d'Oussama Ben Laden...
En tout cas, en septembre 2001, le général Moucharraf choisit finalement de rejoindre la coalition internationale contre le terrorisme, redevenant ainsi l'allié privilégié des Etats-Unis qu'il avait été dans les années 1980 - et cela, au risque de se couper d'une partie de son opinion publique.
Quelque temps avant les deux attentats dont il a été la cible, le président Moucharraf avait accepté de décrypter pour nous la politique de son gouvernement.
Jean-Marie Montali - L'année dernière, onze Français ont été tués dans un attentat à Karachi. Ne craignez-vous pas que ce genre d'action terroriste, si elle se reproduit, ne finisse par assombrir les relations entre la France et le Pakistan ?
Pervez Moucharraf - Non, je ne le pense pas. D'ailleurs, les responsables de cet attentat ont été identifiés et arrêtés. Je suis serein car je sais que la France est consciente de nos efforts dans la lutte contre le terrorisme : elle reconnaît que nous faisons tout notre possible pour y mettre un terme et protéger les expatriés occidentaux en mission au Pakistan.
J.-M. M. - Avez-vous lu le livre de Bernard-Henri Lévy, Qui a tué Daniel Pearl ? ?
P. M. - Non, je ne l'ai pas lu ; mais on m'en a parlé.
J.-M. M. - Alors, qui a tué Daniel Pearl ?
P. M. - Vous le savez aussi bien que moi : les coupables ont été arrêtés, jugés et condamnés.
J.-M. M. - Dans ce livre, il est dit que la mort de Daniel Pearl aurait été impossible sans la complicité des services secrets pakistanais, l'ISI...
P. M. - Nous sommes, depuis toujours, exposés à ce genre d'accusations. Or elles ne reposent sur aucun fondement et révèlent, de la part de ceux qui les portent, une méconnaissance totale des dossiers. Les services secrets pakistanais n'ont rien à voir dans la mort de ce journaliste.
J.-M. M. - Avouez, tout de même, que l'image du Pakistan est plutôt floue. D'un côté, vous affirmez soutenir la lutte internationale contre le terrorisme mais, de l'autre, vous continuez à aider les Talibans et à afficher une certaine complaisance envers Al Qaida et Oussama Ben Laden...
P. M. - Je n'ai pas à répondre à de telles questions. Ces insinuations mensongères sont sans intérêt. Ce sont, tout simplement, des questions scandaleuses.
J.-M. M. - Pourtant, Washington a publié il y a quelques mois une liste noire sur laquelle figurent quatre organisations dites terroristes basées au Pakistan et opérant au Cachemire...
P. M. - Les organisations d'envergure internationale, c'est-à-dire celles qui sont capables de monter et de réaliser des opérations terroristes n'importe où dans le monde, ont déjà été interdites au Pakistan. Des dizaines d'officiers, des centaines de sous-officiers travaillent au démantèlement de ces groupes. Des mesures ont été prises pour les empêcher de se développer dans notre pays ou d'y trouver refuge. Mieux : ces derniers mois, nous avons procédé à de nombreuses arrestations qui ont été autant de coups portés au terrorisme et qui ont été saluées par la communauté internationale.
J.-M. M. - Quelle est la situation dans la zone tribale, à la frontière avec l'Afghanistan ?
P. M. - Vous savez qu'au fil des siècles personne n'a jamais réussi à soumettre ni même à contrôler cette zone tribale. Mais le contexte international nous impose aujourd'hui de rendre cette région accessible. C'est la raison pour laquelle notre armée s'y est déployée. Sa mission consiste à mettre en place un …
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