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Allemagne : le désenchantement

Se maintenir six ans au pouvoir en stagnant à un plancher historique dans les sondages avec, depuis deux ans, une fragile majorité au Bundestag constitue, à n'en pas douter, une performance appréciable. Rester à la barre tout en remorquant un pays relégué en queue du peloton européen et de plus en plus insensible aux initiatives gouvernementales, seul un équilibriste tel Gerhard Schröder pouvait réaliser ce tour de force. En vrai " zoon politikon ", le successeur d'Helmut Kohl donne la mesure de ses talents dans l'adversité. Le leader de la gauche allemande puise avec dextérité dans son chapeau de prestidigitateur. Il a pu camoufler longtemps, avec un art consommé, les rides de son parti et les failles de sa majorité. À présent, il semble parfois las d'une Allemagne qui se détourne de lui. Les joutes tactiques ne l'égaient plus autant que lorsqu'il disait après son élection de 1998 : " Gouverner m'amuse. " Le bruit court que Schröder n'a plus envie de rester aux commandes et que son récent abandon de la présidence de son parti, le SPD social-démocrate, n'est pas une simple manœuvre politique. Serait-ce un pas vers l'abandon ? Helmut Kohl nous assurait en 2000 : " Schröder sera réélu en 2002. De justesse, mais il le sera. Ensuite, il jettera l'éponge en 2004 pour occuper un poste de direction plus lucratif chez Volkswagen. " D'aucuns voient le chancelier jeter l'éponge à la fin de l'année 2004, d'autres en 2005, et tous céder sa place en 2006. Les Allemands sont dans le doute : selon un sondage Dimap réalisé en février dernier, une moitié (48 %) parie sur sa démission, l'autre moitié (49 %) sur son maintien jusqu'aux législatives de 2006 et 3 % restent sans opinion.
Incontestablement, le choix par l'opposition CDU/CSU et FDP de Horst Köhler comme candidat à la présidence de la République fédérale (1) annonce la fin de l'ère Schröder-Fischer. L'ancien secrétaire d'État aux Finances d'Helmut Kohl, devenu par la suite président des Caisses d'épargne allemandes, puis président de la BERD et du FMI, a toutes les chances d'être élu en mai prochain, car l'opposition est majoritaire dans le collège électoral. Köhler n'est pas un moraliste comme son prédécesseur de gauche, Johannes Rau, mais un expert qui, au dire de Helmut Schmidt, " a plus de compétence économique que toute la classe politique allemande réunie ". Il est appelé à réintégrer son pays dans les circuits financiers et économiques mondiaux où celui-ci avait perdu du terrain.
Certes, Gerhard Schröder et son associé vert, Joschka
Fischer, ont acquis au cours des événements de 1968 (2) certaines aptitudes " psychédéliques " qui les aident à survivre dans un chaos relatif et à s'oxygéner dans une ambiance délétère. Conformément aux consignes du leader étudiant de l'époque, Rudi Dutschke, les ex-" soixante-huitards " ont accompli leur " longue marche à travers les institutions ", mais les rênes du pouvoir leur tombent des mains. Adenauer, il y a quarante ans, avait restauré la démocratie allemande après la cuisante leçon …