Prédire le résultat d'une élection présidentielle à plusieurs mois de distance, c'est un peu comme prévoir le temps qu'il fera : on peut tomber juste, mais ce ne sera sûrement pas sous l'effet de la raison. De toute éternité, la règle d'or de l'observateur de la vie politique américaine a été de ne jamais se fier ni aux sondages ni à ses intuitions avant que le peuple ne commence à se pencher sérieusement sur la compétition électorale, c'est-à-dire avant le Labor Day (premier lundi de septembre). Cette année, l'élection s'annonce particulièrement ouverte et incertaine, l'opinion étant divisée et sujette à des influences conjoncturelles imprévisibles. La prudence est donc encore plus nécessaire qu'à l'accoutumée.
Un contexte inhabituel
Il est extrêmement inhabituel qu'une élection, aux États-Unis, se présente dans un contexte marqué par de tels enjeux internationaux. Les électeurs américains se déterminent généralement en fonction de critères intérieurs, et principalement économiques. En 1992 - on s'en souvient - le slogan qui avait permis à Bill Clinton de l'emporter contre le père de l'actuel président était : " It's the economy, stupid ! " (" Y a que l'économie qui compte, gros bêta ! "). Dans un pays-continent comme l'Amérique, où le système politique vise à permettre aux citoyens organisés en groupes d'influence et de pression d'exercer un pouvoir direct sur les décisions, c'est encore plus vrai qu'ailleurs : la Constitution, avec ses " checks and balances " (contrôles et équilibres) est faite de telle manière que, dans la détermination des orientations du pays, les considérations intérieures priment toujours sur la politique étrangère. Les " pères fondateurs " se méfiaient d'une conception de l'État qui privilégiait la politique extérieure, tendance dont ils pensaient à juste titre qu'elle contribuait à une centralisation des pouvoirs, avec les tentations monarchiques que cela implique (1).
La raison pour laquelle l'élection du 2 novembre 2004 échappera probablement à cette règle tient évidemment aux conséquences du 11 septembre 2001 sur la société et l'État américains. Du fait de ces attentats, la sécurité internationale des États-Unis est devenue un facteur intérieur : elle jouera donc un rôle dans cette élection. Il faut dire et répéter que le traumatisme du 11 septembre a été sous-estimé en Europe et, en particulier, en France. La nation tout entière s'est sentie violée par cette série d'attentats qui ont brutalement révélé à l'Américain moyen la vulnérabilité de son pays. L'idée selon laquelle tout ce qui se passe à l'étranger est indifférent aux Américains a été complètement discréditée. C'était pourtant, avant le 11 septembre, un sentiment que la fin de la guerre froide avait semblé conforter et valider. L'isolationnisme américain, au sens traditionnel du terme, est désormais mort et enterré. Mais cette conclusion n'est pas aussi réjouissante qu'il y paraît, car elle s'est accompagnée de la résurgence d'une inquiétude systématique à l'égard de l'étranger. Le monde extérieur est désormais perçu comme une source de dangers extrêmes. C'est bien là la cause de l'exacerbation récente 1°) de ce qu'il est convenu de nommer l'" unilatéralisme " et …
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