Dé-saoudiser l'Arabie

n° 103 - Printemps 2004

Il faut se rendre à l'évidence, et près de soixante ans d'une alliance sans faille n'y changeront rien : l'Arabie saoudite n'est pas un allié des États-Unis mais un ennemi. En l'affirmant haut et fort il y a deux ans, lors d'un briefing au Pentagone, j'avais levé un lièvre d'importance.
L'exposé prononcé devant le Defense Policy Board (Comité consultatif de la défense) y avait, en effet, provoqué un vif débat. Celui-ci devint explosif lorsqu'une fuite en fit filtrer le contenu en première page du Washington Post. S'ensuivit l'un de ces orages médiatiques dont la capitale fédérale a le secret. Une grande partie des médias blâma le messager pour mieux s'attaquer au message. Une autre en approuva la teneur. Quant à l'opinion publique, elle s'était déjà fait sa religion. De la présence de quinze Saoudiens parmi les dix-neuf pirates de l'air du 11 septembre 2001, les Américains avaient spontanément conclu, malgré les lénifiantes ritournelles serinées par les apologistes du royaume saoudien, à la culpabilité des extrémistes wahhabites qui dominent l'Arabie.
Depuis, la tendance n'a fait que se confirmer. Le Congrès, la presse écrite et électronique ont multiplié les attaques contre Riyad : enfants binationaux kidnappés par des pères saoudiens ; mauvaise foi et manque de collaboration dans la lutte anti-terroriste ; implication personnelle de membres de la famille royale dans des financements d'agents terroristes, etc. Pis encore : l'Arabie a tout fait pour mettre des bâtons dans les roues des Américains lors de l'assaut contre Saddam Hussein - comme le roi Fahd, en 1991, avait instamment exigé du président Bush que l'on fît grâce au dictateur vaincu. Résultat : le Pentagone a fini par retirer ses troupes d'Arabie saoudite, reconnaissant ainsi que l'" allié " n'était pas d'une fiabilité à toute épreuve. Mais lorsqu'un rapport du Congrès présenta des preuves accablantes de la complicité de la famille royale avec les réseaux terroristes, les 28 pages litigieuses furent censurées à l'initiative de l'administration...
La guerre contre le terrorisme, à laquelle s'est voué corps et âme le président Bush, bute pourtant à chaque pas sur les entreprises made in Saudi Arabia. D'un côté, cinquante-cinq ans de partenariat, incarnés dans des hommes, des carrières, des doctrines et des pratiques. De l'autre, les exigences d'une guerre à mort. L'hésitation présidentielle ne pourra pas durer éternellement : il faudra bien que l'hôte de la Maison-Blanche se décide.
Il est vrai qu'on ne taquine pas impunément les réalités géopolitiques. Le renversement d'un régime qui contrôle une partie significative des réserves pétrolières mondiales, de la production de l'Opep, de la consommation des pays européens et asiatiques ; qui occupe, depuis longtemps, une place essentielle dans les affaires stratégiques du golfe Persique et du Moyen-Orient ; dont les intérêts financiers sont considérables tant aux États-Unis que dans le pool mondial du dollar, n'est ni une affaire à prendre à la légère, ni une décision à préconiser sans précaution : il faut que la somme des avantages l'emporte nettement sur celle des inconvénients.
Mais c'est un fait : l'Arabie des …