Yves Messarovitch - Quinze ans, c'est ce qui nous sépare de la chute du mur de Berlin. Mais, pour certains pays de l'Est, c'est aussi la moitié du temps passé sous la tutelle communiste. Le 1er mai 2004 a marqué l'entrée de huit anciens pays du Comecon dans l'Union européenne (1). Quel bilan peut-on tirer de leur transition vers l'économie de marché ?
Jean Lemierre - Le bilan est positif. Il y a dix ans, personne n'aurait pensé qu'ils rejoindraient l'UE si vite et dans d'aussi bonnes conditions. Leurs économies se sont intégrées aux économies européennes. Leur capacité d'exportation vers l'Union est élevée et des changements en profondeur ont été réalisés. Les quinze années qui viennent de s'écouler augurent bien de l'avenir. La transition n'a pourtant pas été facile. Chaque pays a avancé à sa manière, mais il l'a fait. Si ces progrès ont pu avoir lieu, c'est grâce à la cause européenne. La perspective de rejoindre l'UE fut un fantastique levier, un formidable accélérateur de réformes. Mais la transition n'est pas terminée, pas plus que la convergence réelle des économies.
Y. M. - Quelle différence faites-vous entre transition et convergence ?
J. L. - La transition désigne, au fond, ce qui nous vient du passé. La convergence, elle, concerne l'objectif que représente l'adhésion à la zone euro. C'est un moteur essentiel. Cela permettra à ces pays d'entrer pleinement dans l'Europe, de bénéficier d'une stabilité économique, de taux d'intérêt plus faibles et de perspectives commerciales plus fortes. Mais il leur faut encore relever de nombreux défis, notamment dans le domaine de la concurrence. Leurs économies doivent être plus compétitives et plus productives. Nous savons que cette transition sera difficile à accompagner sur le plan social. Comment, en effet, assurer la reconversion de pans entiers de l'économie qui sont insuffisamment compétitifs ? Je pense aux chantiers navals, aux aciéries, à une partie de l'agriculture. Le schéma n'est pas nouveau. L'Espagne a déjà connu un tel parcours en rejoignant la Communauté européenne. C'est un sujet compliqué qu'il faut gérer sur le plan à la fois social et politique. Dans le même temps, il faut développer des activités nouvelles. Or les États sont confrontés à deux besoins. Le premier, c'est une demande accrue de secteur public. On l'a, par exemple, constaté il y a deux ans en Hongrie lorsque, au moment des élections, les salaires hospitaliers ont brusquement bondi de 50 %. Le second besoin est d'ordre environnemental et sanitaire. Autant dire que les budgets sont sous forte pression. C'est pourquoi les déficits publics sont un peu plus élevés que prévu. Et que le chômage est toujours présent. L'amélioration de la compétitivité suppose des investissements massifs, par exemple dans les routes et le transport, en particulier en Pologne. Mais aussi dans l'éducation. Encore une fois, les besoins publics sont élevés. Or il est indispensable que ces pays passent d'une croissance tirée par du déficit budgétaire, c'est-à-dire par de la consommation publique, à une croissance tirée par l'investissement. Ils vont être aidés par les …
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