D'une occupation à l'autre
Le régime d'occupation militaire occidentale auquel est soumis l'Irak depuis douze mois n'est pas une expérience entièrement nouvelle. Lors de la Première Guerre mondiale, en effet, la Grande-Bretagne arracha à l'Empire ottoman ses provinces mésopotamiennes et y installa une administration militaire directe. Cette occupation fut légitimée par la communauté internationale en 1920, lorsque la Société des nations confia aux Britanniques un mandat sur l'Irak. De la même manière, en 2003, le Conseil de sécurité de l'ONU entérina l'occupation anglo-américaine du pays par les résolutions 1483 (22 mai 2003) et 1511 (16 octobre 2003), qui reconnaissent aux États-Unis et à la Grande-Bretagne le droit d'administrer l'Irak et d'en gérer l'avenir politique ainsi que les ressources économiques. Pourtant, la guerre avait été menée en dehors de la communauté internationale et très largement contre elle. Mais le nouveau rapport de force, instauré après la victoire de la Coalition, conduisit certains pays qui avaient jugé l'intervention illégitime à reconnaître la légitimité de l'occupation. Enfin, dernière ressemblance : dans les deux cas, en 1920 comme en 2003-2004, la puissance occupante patronne un processus de (re)construction politique.
En 1920, après l'éclatement de la révolution irakienne, les Britanniques comprirent qu'ils ne pourraient pas continuer à administrer le pays par la voie de l'occupation directe. L'India Office s'effaça au profit du Bureau arabe du Caire. Sir Percy Cox, conseillé par Gertrude Bell - l'équivalent féminin de Lawrence d'Arabie pour l'Irak -, revint à Bagdad et s'attela à l'édification d'institutions autochtones. Le 14 novembre 1920, il proclama le " gouvernement arabe provisoire " dont l'État irakien a été l'héritier jusqu'à son effondrement en 2003. À bien des égards, ce gouvernement arabe provisoire de 1920 rappelle le conseil de gouvernement intérimaire mis en place par Paul Bremer le 13 juillet 2003 : ses membres sont désignés par la puissance d'occupation et il ne possède aucun des attributs de la souveraineté. De même que les Britanniques anticipèrent la fin officielle du mandat (prévue pour 1932) et firent signer, en 1930, aux autorités irakiennes un nouveau traité autorisant la présence de bases militaires dans le pays, Paul Bremer a fixé au 30 juin 2004 le transfert de la souveraineté à un gouvernement irakien. Il a prévenu qu'après cette date les GI's resteraient en Irak, mais plus en tant que force d'occupation. Ils seraient les invités du gouvernement irakien ! Voilà pour les points communs. Il existe toutefois une différence de taille.
En 1920, le système politique fondé par les Britanniques instaurait une discrimination confessionnelle et ethnique inavouée. Sous des aspects modernes et malgré la proclamation de son identité arabe, le nouvel État excluait les trois quarts de la population irakienne : les chiites et, à partir de 1925 (année du rattachement du vilayet de Mossoul à l'Irak), les Kurdes. Le pouvoir était conçu pour être le monopole d'élites issues de la minorité arabo-sunnite. Ces élites, qui ne représentaient qu'entre 20 et 25 % de la population, avaient servi de relais local au pouvoir ottoman. Sans transition, elles se …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
- Historiques de commandes
- Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés
- Informations personnelles