Riyad : la tentation nucléaire

n° 103 - Printemps 2004

Parmi les " dominos nucléaires ", il en est un dont l'identité peut surprendre : l'Arabie saoudite. Il s'agit pourtant, selon toute probabilité, du prochain cas difficile sur lequel devra se pencher la communauté internationale. Un cas qui n'est pas sans lien avec ce qu'il est convenu d'appeler " l'affaire A. Q. Khan ".
Riyad-Washington : le désamour
L'avenir du royaume wahhabite suscite bien des interrogations. Fin 2001, après quelques semaines de déni de réalité et d'hésitations face à l'énormité des enjeux politiques, stratégiques et économiques, les Américains avaient fini par se rendre à l'évidence : l'Arabie saoudite se trouve à l'épicentre du terrorisme mondial. Ce n'est pas un hasard si les auteurs des attentats de New York et de Washington étaient, pour la plupart, porteurs de passeports saoudiens - sans parler du fait qu'ils semblent avoir bénéficié de soutiens au sein même de l'establishment du pays.
L'Arabie paie aujourd'hui le prix du pacte faustien passé avec les mouvements islamistes, que le régime a financés sans compter contre la promesse d'avoir la paix sur son territoire. Elle n'avait pas prévu la radicalisation des combattants wahhabites dans le creuset afghan.
La place de l'Arabie saoudite dans la politique américaine fait désormais l'objet d'un vrai débat à Washington. Pour les experts néo-conservateurs tels que Francis Fukuyama, le Royaume serait en fait le premier responsable de la montée de l'" islamo-fascisme " dans les sociétés musulmanes (2). Lors d'un briefing devant le Defense Policy Board (à l'invitation de son président, Richard Perle), l'analyste de la Rand Corporation, Laurent Murawiec, fit scandale en n'hésitant pas à dire tout haut ce que certains membres de l'administration pensaient tout bas : il fallait mettre un terme au règne des Saoud sur la péninsule (3). L'hypothèse d'un recours à la force pour briser la puissance saoudienne avait déjà été évoquée lors du premier choc pétrolier (4). Elle fait à présent pleinement partie des réflexions des cercles néo-conservateurs et prend la forme, dans les scénarios les plus extrêmes, de schémas de démembrement du Royaume, voire d'un rétablissement de la souveraineté hachémite sur les Lieux saints de l'islam - une solution que Winston Churchill, héros des néo-conservateurs, aurait voulu maintenir... Ces idées circulent non seulement dans les centres de recherche, mais aussi, à demi-mot, dans les couloirs du Pentagone (5).
De tels projets n'ont une chance de se réaliser qu'en cas d'aggravation sérieuse de la menace terroriste (par exemple, un deuxième " 11 septembre " sur le territoire américain). Pour l'heure, le discours officiel se veut rassurant car les États-Unis tablent sur la coopération de la famille régnante pour lutter contre le terrorisme et sont trop occupés à gérer l'occupation de l'Irak pour souhaiter ouvrir un nouveau grand chantier géopolitique. Au demeurant, l'abandon définitif de l'Arabie saoudite constituerait une remise en cause déchirante pour l'élite texane, dont on connaît les liens d'affaires avec les Saoud. Washington s'efforce donc seulement de " dissocier les pétrodollars du wahhabisme ", c'est-à-dire d'empêcher que les revenus du pétrole ne permettent le financement direct …