L'attentat perpétré contre le président Chen Shui-bian et la vice-présidente Lu Hsiu-lien à la veille du scrutin (1), le très faible écart ayant permis leur réélection (29 518 voix), la contestation immédiate du résultat par le " camp bleu " (2) sont autant d'événements qui ont quelque peu occulté la principale leçon de la dernière élection présidentielle taiwanaise : la progression impressionnante du score du président, candidat du Minjindang (Parti démocrate progressiste, PDP), qui est passé de 39,3 % des voix en 2000 à 50,1 % en 2004. Le plus étonnant, c'est que cette progression ait eu lieu malgré le sentiment de mécontentement suscité dans la population par les quatre années de présidence de Chen Shui-bian. Au cours de cette période, en effet, le gouvernement s'est souvent vu taxer d'" immobilisme ", d'" inconsistance " et de " manque d'expérience ", y compris par une large partie de l'électorat qui avait contribué avec ferveur à la victoire du PDP en 2000. Jusqu'aux premières semaines de la campagne, tous les sondages donnaient Chen Shui-bian largement battu dans la confrontation qui allait, cette fois, l'opposer au ticket commun Lien Chan/Soong Chu-yu - deux adversaires réunis pour l'occasion et dont les candidatures séparées lui avaient permis de l'emporter quatre ans plus tôt (3). La comparaison des scores obtenus en 2000 par les candidats en lice semblait laisser peu de place au doute : le président allait être vaincu (4).
Dès lors, une question s'impose : quels sont les facteurs qui expliquent la montée en puissance continue du PDP au cours de la période de démocratisation ? Pour comprendre ce phénomène, il est indispensable de distinguer les aspects conjoncturels des évolutions structurelles. Ces dernières impriment leur marque plus lentement, mais aussi plus profondément, dans la conscience politique de la population. À cet égard, l'étude de la jeunesse s'avère particulièrement riche d'enseignements. Les transformations qu'a subies son cadre de socialisation depuis la période de dictature du Kuomintang (1945-1987) jusqu'à nos jours fournissent de précieuses indications sur le mouvement de fond que connaît la société taiwanaise.
Les jeunes (nous entendons par là les citoyens âgés de 20 ans - la majorité légale - à 29 ans) constituent, parmi l'ensemble de la population de l'île, la première génération issue d'un processus de socialisation dont le cadre n'a pas été un régime autoritaire fondé sur le mythe de la " reconquête du continent " et aspirant à faire de chaque Taiwanais un " bon Chinois ", mais une société en pleine démocratisation et en voie de " taiwanisation ". Ce changement a engendré la production d'un nouvel environnement symbolique et de discours qui concurrencent les valeurs héritées de la période de dictature. Les jeunes Taiwanais sont aujourd'hui porteurs de représentations et de comportements politiques qui tranchent avec ceux de leurs aînés. Un phénomène essentiel pour l'avenir de l'île et qui mérite qu'on l'analyse en détail.
Une jeunesse " à l'image du Kuomintang " (1945-1987)
La démocratisation, engagée en 1987 avec la levée de la loi martiale, se traduit …
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