Ilda Mara - Monsieur le premier ministre, vous dirigez le gouvernement albanais depuis deux ans. C'est la quatrième fois que vous occupez ce poste en treize années ! Quels ont été les " ingrédients " de cet étonnant parcours ?
Fatos Nano - La première chose qu'il faut savoir à mon sujet, c'est que je suis un pur produit de l'intelligentsia albanaise. Mon père, normalien, avait fait ses études dans un lycée français (à l'époque, un grand nombre de nos lycées s'inspiraient du modèle français). Ma mère, elle, sortait d'un collège américain (il y en avait dans l'Albanie de l'avant-guerre). Dans mon enfance, j'ai donc appris deux langues étrangères : le français et l'anglais. Plus tard, grâce aux seules fenêtres sur le monde accessibles depuis notre pays isolé - les chaînes de télévision italiennes et yougoslaves -, j'ai appris l'italien et le serbo-croate, sans avoir accès à un quelconque manuel ou à des livres écrits dans ces langues. En effet, à cette époque, la littérature était férocement censurée. La lecture pouvait conduire à la prison ! Mais les ondes, elles, échappaient au contrôle du régime communiste... Dès ma jeunesse, j'ai souhaité comprendre comment fonctionnait mon pays. C'est pourquoi je me suis lancé dans des études d'économie politique. J'ai dévoré des centaines d'ouvrages, de Ricardo et Smith jusqu'à Marx et aux post-marxistes. Et c'est tout naturellement que, à la fin des années 1980, j'ai choisi d'entrer en politique : il me semblait que c'était le seul moyen possible d'influer à la fois sur l'économie et sur la société. I. M. - Mais entre la fin de vos études et le début de votre carrière politique, vous avez travaillé dans l'industrie lourde...
F. N. - C'est exact. Je suis diplômé de la Faculté des études économiques (où j'ai même fini par être nommé professeur), mais j'ai également travaillé dans la sidérurgie - dans la ville d'Elbasan -, ainsi que dans l'agriculture de montagne, pas très loin de Tirana. Ce double bagage - intellectuel et pratique - m'a beaucoup aidé, quand je suis devenu premier ministre, pour l'élaboration des programmes sociaux, macro-économiques et politiques de mon gouvernement. Après la mort d'Enver Hoxha, le régime a connu une très légère ouverture, sous la houlette de Ramiz Alia. À ce moment-là, j'ai commencé à militer en faveur de la libéralisation de l'économie et de l'augmentation du rôle des citoyens dans le processus de prise de décision. Bref, en faveur d'une démocratisation politique. Le 2 août 1990, j'ai été invité à une émission de la radio Voice of America, qui était largement écoutée en Albanie. J'ai alors - à l'étonnement de tous, y compris de moi-même ! -, lancé un appel solennel à procéder à la démocratisation. Cet appel a beaucoup fait pour ma carrière ultérieure.
I. M. - Considérez-vous que c'est grâce à l'écho rencontré par ce discours que vous êtes devenu premier ministre au lendemain des premières élections libres de l'Albanie pluraliste, en mars 1991 ?
F. N. - En tout cas, dès l'instant …
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