Romain Gubert - Bruce Jackson, qui êtes-vous exactement ? Un représentant du courant néo-conservateur ? L'envoyé spécial de la Maison-Blanche ? Un lobbyiste au service d'un marchand d'armes ? Ou un agent de la CIA comme le dit la rumeur ?
Bruce Jackson - Mon association, Project on Transitional Democracies, est une ONG dont l'objet est clairement défini : elle vise à favoriser l'implantation de la démocratie partout où cela est possible. Nous sommes effectivement proches de l'actuelle administration sur le plan intellectuel. Mais chacun reste dans son rôle. Lorsque je me déplace à l'étranger, je ne suis mandaté par personne. Les démocrates américains ont aussi ce genre de structures qui gravitent autour de leurs leaders. L'autre jour, un ministre d'un pays d'Europe centrale a posé exactement la même question que la vôtre à un membre éminent du gouvernement américain. J'ai bien aimé sa réponse amusée, que l'on m'a rapportée : " Non, Jackson n'est pas l'ambassadeur de la Maison-Blanche. Mais si vous ignorez ses conseils, c'est à vos risques et périls... "
R. G. - Quel a été votre itinéraire personnel ?
B. J. - Mon père fut le numéro deux de la CIA entre 1950 et 1951. Puis, il fut le premier conseiller à la sécurité nationale de Dwight Eisenhower à partir de 1952. Mes deux frères aînés étaient diplomates. Quant à moi, j'ai étudié la littérature anglaise puis j'ai rejoint l'armée. En 1990, j'ai été affecté au Pentagone. J'ai travaillé sur la défense stratégique et la prolifération nucléaire. C'est là que j'ai rencontré Paul Wolfowitz, dont je suis resté très proche. J'ai ensuite quitté le Pentagone pour faire un peu de politique. À partir de 1996 et pendant deux ans et demi, j'ai été membre de l'équipe chargée de la politique étrangère au sein du parti républicain. J'ai aussi été l'un des deux responsables des finances pour la campagne du candidat républicain Bob Dole, qui fut battu par Bill Clinton en 1996.
R. G. - Parallèlement à ces activités, vous avez animé un Comité pour l'élargissement de l'Otan qui s'est fait l'avocat des pays d'Europe centrale auprès du Congrès. Vous avez également été vice-président de Lockheed Martin, la principale firme du secteur de la défense aux États-Unis... Drôle de mélange des genres, non ?
B. J. - Pas du tout. En Amérique, ce type de parcours est classique. J'étais chez Lehmann Brothers (2) lorsque Lockheed est venu me chercher en 1993. Je n'ai jamais voulu travailler pour une compagnie fabriquant des armes. Mais le challenge était si intéressant que je me suis laissé tenter : il s'agissait de reconstruire l'arsenal de la démocratie, de redonner des bases à l'industrie de défense du pays. Lockheed Martin était l'entreprise dont l'Amérique avait besoin. À cette période-là, j'ai gagné suffisamment d'argent pour pouvoir démissionner en 2002 et me permettre aujourd'hui de diriger une ONG sans percevoir de salaire. Dans certains cercles chrétiens, les fidèles travaillent comme volontaires à l'étranger pendant trois ou quatre ans pour accomplir une bonne action. …
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